Adrienne Mesurat – Julien Green (1927)

Et si nous parlions d’une femme méconnue et emblématique de la littérature ?

Adrienne Mesurat vit dans une maison reculée au coeur d’un village de province avec sa famille. A la fois délicate et réservée, cette jeune femme semble bien énigmatique.

Son père est emmuré dans ses habitudes. Sa soeur, quant à elle, avec sa santé fragile est comme transparente. Entre ce père colérique et cette soeur taciturne, Adrienne Mesurat a des difficultés à trouver sa place. Emprisonnée dans ce carcan familial, elle s’étiole doucement. Les jours s’écoulent tristement sans qu’aucune véritable joie ne traverse son existence calme et presque monacale.

Un jour ses yeux rencontrent ceux d’un homme. Ce bref instant suspendu va bouleverser son existence. Tout à coup, toute sa vie sera dédiée à cet inconnu. Mais jusqu’où cet amour fantasmé va-t-il la conduire ?

Ce classique méconnu offre une description flamboyante de l’ennui au coeur d’une vie étriquée. La psychanalyse des personnages est précise, acérée et magistrale. J’ai été plongée dans ce roman et j’ai été littéralement conquise par les personnages, la beauté des descriptions et par l’émotion inconditionnelle que ce livre suscite.

Si vous aimez Eugénie Grandet et Emma Bovary, partez à la rencontre d’Adrienne Mesurat !

Ma note :

Note : 5 sur 5.

Coup de ❤

Citations :

« C’était peut-être moins affreux d’être plongée ainsi dans un ennui sans trêve que de passer fiévreusement d’un instant de joie inquiète au plus cruel des chagrins ».

« Elle ne se débattait pas, elle laissait le souvenir des espoirs d’autrefois revenir en elle et la déchirer. il lui semblait bien qu’ainsi elle allait jusqu’au fond de sa douleur comme on va vers un refuge. Là, plus rien ne l’atteindrait ».

Une éducation libertine – Jean-Baptiste Del Amo (2008)

Et si nous évoquions la chronique d’une décadence ?

Une éducation libertine nous parle de l’ascension sociale d’un homme dans un Paris d’une terrible noirceur.

En 1760, Gaspard arrive à Paris prêt à conquérir la ville. Venu de Quimper, il a quitté l’exploitation d’élevage porcin familiale avec pour seule ambition de se faire un nom au sein de la capitale.

Pourtant, dès son arrivée, il côtoie plutôt les bas-fonds parisiens et la misère. Près de la Seine, il trouve un premier travail harassant et survit dans un dénuement total. Le Fleuve l’a englouti. Lorsqu’il trouve un poste auprès d’un perruquier, la chance semble enfin lui sourire. Il fait alors la rencontre d’Etienne de V., un homme magnétique et insaisissable, qui va profondément bouleverser sa destinée.

Des profondeurs du fleuve au luxe des salons, cette élévation passera par la pire noirceur. En effet, l’accès à la noblesse a un prix que Gaspard n’avait jamais soupçonné…

Cette immersion dans un Paris peuplé de personnages fascinants est portée par une plume contemporaine. Ce roman retrace la quête d’une ascension sociale où Gaspard n’est pas sans nous rappeler l’emblématique Bel-Ami.

Avec une écriture crue et magnétique, à l’image de Zola, Jean-Baptiste Del Amo nous ensorcèle. Il parvient à faire éclater les tréfonds de l’âme humaine dans le Paris de l’Ancien Régime.

Coup de ❤

Ma note :

Note : 5 sur 5.

Citations :

« Il fondait sur les hommes l’espoir d’être un jour parvenu, car c’était à ce jeu-là que s’échinait la race : monter, gravir, écraser, abattre, déposséder, s’emparer, régner ».

« Paris, nombril crasseux et puant de la France. Le soleil, suspendu au ciel comme un œil de cyclope, jetait sur la ville une chaleur incorruptible, une sècheresse suffocante. Cette fièvre fondait sur Paris, cire épaisse, brûlante, transformait les taudis des soupentes en enfers, coulait dans l’étroitesse des ruelles, saturait de son suc chaque veine et chaque artère, asséchait les fontaines, stagnait dans l’air tremblotant des cours nauséabondes, la désertion des places »

Les Zola – Méliane Marcaggi et Alice Chemama (2019)

Et si nous évoquions un roman graphique éblouissant ?

Vouant une admiration sans limite à Zola, c’est avec un grand enthousiasme que je me suis plongée dans cette bande dessinée sur les traces des femmes qui ont marqué sa vie.

Transportés en 1863 sur les bords de Seine dans le décor « Du déjeuner sur l’herbe » en compagnie de Manet, Zola et Cézanne, nous faisons la rencontre de Gabrielle, une femme libre, secrète et vivante ! Zola travaille encore comme pigiste chez Hachette lorsqu’il débute son idylle avec Gabrielle.

Lors du début de leur relation, Zola va découvrir la part sombre et cachée de Gabrielle et son autre prénom : Alexandrine. Elle révèle à Zola la tragédie qui a marqué sa vie. Cette confidence ne fait que renforcer leur lien.

Ils finissent par se marier mais les désirs de maternité de Gabrielle sont effacés par l’oeuvre de Zola. Devenu un écrivain célèbre, il débute l’écriture des Rougon- Macquart et Gabrielle s’avère être un soutien indéfectible. Véritable muse, elle le guide sur le terrain afin de mener des enquêtes indispensables à la construction de ses livres.

Au fil des années, les envies de paternité d’Emile Zola font surface et, peu à peu, une autre femme se glisse au coeur de leur maison, Jeanne Rozerot, une lingère au service du couple…

Je suis restée éblouie par la beauté des illustrations qui dépeignent une époque et donnent une nouvelle lecture de la vie d’Emile Zola. Ainsi, la place des femmes dans sa vie et dans la construction de son oeuvre est centrale.

C’est au travers des voix féminines que nous redécouvrons l’homme caché derrière l’écrivain….

A travers l’abnégation de Gabrielle pour porter l’oeuvre de Zola, cette bande dessinée nous interroge, avec justesse, sur la place des femmes dans nos sociétés.

Ma note :

Note : 5 sur 5.

Coup de ❤

Ohio – Stephen Markley (2020)

Et si nous évoquions un roman noir envoûtant ?

Stephen Markley avec « Ohio » signe un premier roman haletant sur la jeunesse américaine.

Trois amis d’enfance, Rick, Bill et Ben vivent dans l’espoir de quitter New Canaan, ville qui les a vu grandir et grand symbole de l’Amérique profonde.

Le 11 septembre 2001 marque un tournant dans l’histoire américaine mais également dans la destinée de cette bande d’amis. La chute des tours du World Trade Center est la première fracture de leur amitié et fait s’évanouir leur candeur adolescente. Rick s’engage dans l’armée et devient militaire en Irak alors que Bill se tourne vers un antimilitariste fervent. Quant à Ben, porté par ses ambitions musicales, son destin n’en demeure pas moins tragique…

Des années plus tard, sous une douce nuit d’été, plusieurs membres du lycée de New Canaan se retrouvent et font ressurgir avec eux les fantômes d’un passé qui ne les a jamais véritablement quitté.

À travers le portrait de ces protagonistes, cette fresque sociale nous plonge, sans concession, à la rencontre de cette jeunesse marquée par une mémoire traumatique. Ils ont choisi l’alcool, la drogue ou la violence comme remèdes. Un roman noir envoûtant qui dresse le parcours meurtri de ces jeunes désabusés aux rêves déchus.

Porté par les voix dissonantes de ces jeunes patriotes, militants, toxicomanes, vétérans, homosexuels ou intellectuels, Stephen Markley dresse un panorama américain brillant !

Je suis restée fascinée par ce livre qui transporte son lecteur mais qui donne aussi à réfléchir profondément sur la société américaine. Conquise !

Ma note :

Note : 5 sur 5.

Coup de ❤

Citations :

« Il ressentait un bonheur sans cause, sans justification, aussi blanc que la neige. Sa peau chauffait et picotait, il jouissait par tous les pores en même temps. Toutes les amours de sa vie s’inscrivaient étincelantes sur la rivière mystique du ciel, qui charriait des étoiles, des satellites et de la poussière datant du commencement de la Création ».

« Il bascula dans ses rêves, pleurant les rivières et les champs de son pays natal. Il le vit brûler d’un feu bleu et il pria pour avoir la force de le défendre, de se battre pour lui, de lui rendre la vie »

« Nous aurons beau courir le monde et assister à des couchers de soleil, des aurores et des tempêtes plus spectaculaires, lorsque nous apercevons ces champs, ces forêts, ces buttes et ces rivières ancrés dans notre mémoire, notre mâchoire se serre ».

Americanah – Chimamanda Ngozi Adichie (2013)

Et si nous évoquions un roman questionnant sur la différence ?

Avec un pas conquérant, Ifemelu quitte son pays natal, le Nigeria, pour faire ses études en Amérique. Le rêve américain laisse rapidement place à la difficile adaptation dans un pays étranger. Elle se confronte pour la première fois au racisme et comprend rapidement que son intégration suppose une parfaite assimilation. Elle doit mettre de côté son accent et même gommer ses différences : allant jusqu’à lisser ses cheveux afin de trouver un emploi.

Peu à peu, elle parvient à bâtir, à la force de son tempérament, une vie Américaine. Son blog traitant des questions raciales aux Etats-Unis, avec son ton irrévérencieux, est une grande réussite. Partie loin du Lagos, ville qui l’avait vue grandir, elle s’est privée d’une partie importante d’elle-même. 

De son côté, Obinze, son grand amour de jeunesse, pense que son destin est tout tracé. Admirateur de la culture américaine, il compte rejoindre Ifemelu et construire sa vie en Amérique.

Pourtant, le destin va bouleverser leurs projets d’adolescents. Ils vont mener l’un et l’autre des chemins de vie bien différents…

Chimamanda Ngozi Adichie, dans un roman brillant, nous fait rencontrer des personnages aux caractères puissants qui nous questionnent profondément sur la société. Avec un ton fort, elle interroge sur les interactions culturelles, l’intégration et le rapport aux origines.

Ce roman est profondément riche. Retraçant une belle histoire d’amour, il dresse également avec précision le portrait de personnages contrastés. Au-delà, « Americanah » apporte une réflexion rare et franche sur les questions épineuses de la race et du racisme dans nos sociétés contemporaines.

Ma note :

Note : 5 sur 5.

Coup de ❤

Citations :

« Les larmes lui piquaient les yeux. Il pris sa main, la garda serrée dans la sienne sur la table et le silence s’alourdit entre eux, un silence ancien qui leur était familier. Elle était à l’intérieur de ce silence et elle y était en sûreté ».

« Cher Noir non Américain, quand tu fais le choix de venir en Amérique, tu deviens noir. Cesse de discuter. Cesse de dire je suis jamaïcain ou je suis ghanéen. L’Amérique s’en fiche »

Le loup des steppes – Hermann Hesse (1927)

Et si nous évoquions un conte philosophique ?

Avec « Le loup des Steppes », Hermann Hesse nous interroge sur la complexité de l’âme humaine.  Thomas Mann écrivait à propos de cet ouvrage « Ce livre m’a réappris à lire ». Multipliant les registres, ce récit profondément inventif et fou donne à réfléchir.

Harry Haller intègre une pension bourgeoise et étonne sa nouvelle logeuse et son neveu. Derrière son apparente politesse, Harry cache un semblant de moquerie face au monde. Sa chambre débordante de livres est hors du temps. Il a fait le choix de s’intéresser strictement à l’intellect et s’évertue, chaque jour, à rester couper du monde.

Il se désigne lui-même comme « un loup des steppes » et revendique une double personnalité. Derrière l’homme poli qui s’est adapté au monde et semble presque rassuré par un milieu bourgeois qu’il exècre se cache un loup. Solitaire, l’animal en lui réprouve les hommes et s’isole. Face à ce conflit intérieur, une seule issue semble viable : la mort. 

Harry Haller oscille entre l’envie de mettre fin à ses jours et la peur de la mort. Errant dans la ville avec ses idées noires, il fait la connaissance d’Hermine, une femme énigmatique et splendide qui le pousse dans ses retranchements. Véritable homologue féminine, elle bouleverse son existence et l’initie à la vie.

Au-delà d’un simple roman, ce traité touche presque au récit philosophique. Ainsi, Hermann Hesse aborde, avec une profonde justesse, la conception erronée de l’unité humaine. L’illusion que l’homme ne fait qu’un serait vouée à l’échec. Ainsi, l’homme se composerait plutôt d’une diversité d’âmes bien distinctes. La dichotomie de l’âme d’Harry entre l’homme et le loup semble ainsi bien simpliste. Finalement, l’humain s’avèrerait bien plus complexe et polymorphe.

J’ai beaucoup aimé la densité de ce texte audacieux, véritable base de réflexion existentialiste, il pousse à l’introspection.

Ma note :

Note : 5 sur 5.

Coup de ❤

Citations :

« Etait-il même possible qu’un tel bonheur, fugace, mais intense, éprouvé en de rares occasions, absorbât tous les maux et représentât une richesse supplémentaire ? »

« En tant que corps, chaque homme est un ; en tant qu’âme, il ne l’est jamais »

« Vous devez vivre et apprendre à rire. Vous devez apprendre à écouter cette satanée musique radiophonique de la vie, à vénérer l’esprit qui transparaît derrière elle, à vous moquer de tout le tintamarre qu’elle produit. C’est tout ; on ne vous en demande pas plus »

Qui a tué mon père – Edouard Louis (2018)

Envie de se plonger dans un pamphlet politique court et cinglant ?

J’avais déjà beaucoup apprécié En finir avec Eddy Bellegueule, c’est donc avec beaucoup de plaisir que j’ai débuté un des autres textes marquants d’Edouard Louis « Qui a tué mon père ».

L’écrivain raconte son père dans ce court récit amplement autobiographique.

Edouard Louis envisage son rapport complexe et profond à son père. L’ouvrage débute ainsi par ses quelques mots reflets de l’intensité de ce récit :

« Si ce texte était un texte de théâtre, c’est avec ces mots là qu’il faudrait commencer : Un père et un fils sont à quelques mètres l’un de l’autre dans un grand espace, vaste et vide. »

Dès les premières lignes, Edouard Louis nous fait part du gouffre inouï creusé entre lui et son père au fil des années, deux êtres qui ne se sont jamais véritablement compris. Un père resté hostile à la féminité de son fils mais qui, pour autant, n’a jamais cessé de l’aimer.

Dès son enfance, l’écrivain se place comme différent et diamétralement opposé à son géniteur. Pour autant, durant tout le récit, un amour puissant les lie l’un à l’autre par la beauté de certains gestes. Cette ambivalence, reflet de leur rapport intime, est criante de vérité.

Mais ce texte est également un pamphlet politique, Edouard Louis exprimant avec beaucoup de force comment la politique a brisé son père.

Comment, l’usure du travail à l’usine a fini par broyer son dos. Puis, comment les réformes successives l’ont obligé à une reprise d’un travail comme balayeur malgré des souffrances physiques insoutenables.

J’ai découvert un réquisitoire acerbe sur les conséquences des choix politiques sur les individus.

Les deux volets de ce récit sont portés par une belle écriture incisive. Un livre viscéral qui emporte immédiatement son lecteur.

Ma note :

Note : 5 sur 5.

Citations : 

« Quand on lui demande ce que le mot racisme signifie pour elle, l’intellectuelle américaine Ruth Gilmore répond que le racisme est l’exposition de certaines populations à une mort prématurée ».

« Pour les dominants, le plus souvent, la politique est une question esthétique : une manière de se penser, une manière de voir le monde, de construire sa personne. Pour nous, c’était vivre ou mourir. »

« L’histoire de ton corps accuse l’histoire politique ».

A l’est d’Eden – John Steinbeck (1952)

« Qu’as-tu fait ? La voix du sang de ton frère crie de la terre jusqu’à moi. 

Maintenant, tu seras maudit de la terre qui a ouvert sa bouche pour recevoir de ta main le sang de ton frère (…)

Caïn se retira de devant l’Éternel, et séjourna dans le pays de Nôd, à l’est d’Éden »

 (Genèse 4, 1-26)

Après avoir tué son frère Abel, Caïn est banni par son père et se retire à l’Est d’Eden. John Steinbeck avec cette référence biblique, comme titre de son roman, révèle déjà le tiraillement entre le bien et le mal mais également les rapports filiaux au coeur de son oeuvre.

A l’est d’Eden dresse des portraits profonds et humanistes de trois générations successives.

Dans la vallée de Salinas en Californie, des familles vont tenter leur chance afin de cultiver une terre qu’ils espèrent prospères.

Adam et Charles Trask sont demi-frères. Ils sont très différents et font face ensemble à la seule autorité paternelle. Adam est aussi calme et doux que son frère, Charles, est froid et violent. Destinés à embrasser une carrière militaire, ils vont cependant rapidement se différencier y compris dans leurs rapports avec leur père.

Quelques années plus tard, Adam rencontre Cathy. L’amour qu’il lui porte changera à jamais sa vie. Eperdu, il ne voit en elle que douceur et gentillesse. Pourtant, derrière cette beauté angélique, se cache les pires vices.

Cathy accouche des jumeaux Aaron et Caleb. Comme un écho sur cette ultime génération, les mécanismes du rapport au père semble se reproduire.

Adam Trask déménage avec sa famille en Californie et fait la connaissance de la famille Hamilton. Venus d’Irlande du Nord, les Hamiltons ont tissé des liens solides autour de la figure paternelle de Samuel.

Tout au long du roman, les Trasks et les Hamiltons vont évoluer côte à côte…

Cette fresque éblouissante aborde le rapport à la morale mais également à la destinée. Evoquant avec force, la prédominance des choix dans le conditionnement de l’existence, Steinbeck au-delà de l’épopée familiale livre un roman humaniste.

Chaque personnage est si profondément vivant sous la plume de Steinbeck que le lecteur est emporté avec eux durant les années qui s’écoulent avec délice.

Désormais profondément ancré dans mes mémoires de livres, je me suis délectée page après page de ce roman époustouflant.

Ma note :

Note : 5 sur 5.

Coup de ❤

Citations : 

« Et pourtant nous empruntons tour à tour les chemins de l’innocence ou du péché. N’avons-nous pas tous dragué et fouillé les eaux noires de notre âme ? »

« Pour dire d’un homme qu’il fut heureux, attendez qu’il ait tourné sa dernière page »

« Il y a des preuves très solides pour affirmer que Dieu n’existe pas, mais, pour bien des gens, elles ne sont pas aussi fortes que l’impression qu’il existe »

« Je sais qu’on utilise parfois le mensonge pour ne pas blesser, mais je ne crois pas que son effet soit bienfaisant. La douleur fulgurante de la vérité se dissipe, alors que la douleur lancinante du mensonge demeure. C’est un mal rongeant »

La vraie vie – Adeline Dieudonné (2018)

L’engouement médiatique autour de ce premier roman m’avait fait différer sa lecture. Je préférais m’y plonger la tête reposée afin de pouvoir l’appréhender en toute objectivité.

J’ai ainsi pu partager, quelques mois plus tard, la claque qui a été celle de très nombreux lecteurs et qui a valu à Adeline Dieudonné autant de louanges.

La vraie vie, c’est la vie à laquelle une jeune fille de 10 ans ne devrait jamais être confrontée. La narratrice grandit dans un pavillon avec ses parents et son petit frère, Gilles, un jeune garçon lumineux âgé de 6 ans.

Dans ce pavillon au coeur d’un lotissement, on pourrait penser que la jeune fille est entourée d’une famille paisible et aimante.

Pourtant, sa maison est celle des cadavres d’animaux que son père, chasseur, idolâtre. Son enfance est rythmée par les cris de son père, la violence pure, la peur et la passivité de sa mère.

Malgré ce manque d’amour, l’héroïne parvient à créer des rêves et des jeux et à tenter, tant bien que mal, de vivre son enfance.

Un violent accident va venir bouleverser ce quotidien précaire déjà rempli de noirceur. Son frère en ressortira profondément détruit.

Tenace, elle va essayer d’effacer cette vie qui lui apparaît comme une erreur à corriger. Obstinée, elle fera tout pour modifier le passé et faire à nouveau rire son frère.

Il y a très longtemps que je n’avais pas été autant captivée par un roman. J’ai littéralement dévoré ce livre en quelques heures. Le contraste entre la noirceur, la violence et la tendresse de l’adolescente est saisissant. La scène dans la forêt, presque cinématographique, est envoûtante.

J’ai été bousculée par la force qui se dégage de la plume d’Adeline Dieudonné. Son héroïne m’a conquise par son courage et son pouvoir de résistance hors du commun.

Aussi lumineux que sombre, ce roman témoigne du quotidien de certaines familles une fois la porte close mais redonne aussi espoir en la force de résilience de l’être humain.

Ma note :

Note : 5 sur 5.

Coup de ❤

Citations :

« C’était le mois de juillet et pourtant les nuits me semblaient plus noires et plus froides qu’en hiver »

« J’aimais la nature et sa parfaite indifférence. Sa façon d’appliquer son plan précis de survie et de reproduction, quoi qu’il puisse se passer chez moi. Mon père démolissait ma mère et les oiseaux s’en foutaient. Je trouvais ça réconfortant. Ils continuaient de gazouiller, les arbres grinçaient, le vent chantait dans les feuilles de châtaignier »

« On dit que le silence qui suit Mozart, c’est encore du Mozart. On ne dit rien sur le silence qui suit un coup de feu. Et la mort d’un homme. »

La faim – Knut Hamsun (1890)

Et si nous abordions un chef de file de la littérature norvégienne ?

Knut Hamsun, prix Nobel de littérature en 1920, évolue dans un univers hors norme.

André Gide écrivait à propos de la Faim :

« On tourne les feuillets de ce livre étrange. Au bout de peu de temps on a des larmes et du sang plein les doigts, plein le coeur ».

Sentiment partagé, je suis restée complètement bouleversée par ce grand classique !

Knut Hamsun nous délivre le récit d’un indigent vagabondant dans les rues de Christiana, l’actuelle Oslo, à la recherche d’un morceau de pain.

Cet écrivain déchu s’échine à écrire chaque jour  dans l’espoir de faire naître un chef d’oeuvre et vivre de sa plume. Peu à peu, cette quête de l’écriture le mène vers une sombre pauvreté.

Le narrateur perd son logement, ses affaires une à une, puis ce qui lui reste de dignité. L’inexorable descente aux enfers est superbement dépeinte. Cette faim qui le ronge finit par prendre toute la place et ne fait qu’accentuer sa folie.

Knut Hamsun nous décrit avec brio les quelques bouffées de bonheur du narrateur dès qu’il se retrouve, par chance, en possession de quelques couronnes.

Un espoir fugitif bien vite rattrapé par un dénuement profond qui poursuit la route du narrateur dans la ville.

D’une très grande noirceur, ce récit psychologique est attelant même s’il n’existe pas vraiment de fil narratif puisque l’ouvrage dessine plutôt une spirale sans fin vers l’indigence.

Le ton n’est pas sans rappeler les romans russes chers à mon coeur.

Une prouesse d’écriture pour un roman inclassable qui restera ancré dans mes mémoires !

Ma note :

Note : 5 sur 5.

Coup de ❤

Citations :

« Je riais, je riais en me tapant les cuisses, je riais comme un enragé. Et pas un son ne me sortait de la gorge, mon rire était silencieux et fébrile, il avait la profondeur d’un sanglot… »

« Tout en marchant je la regarde et je deviens de plus en plus vaillant ; elle m’encourage et m’attire à soi par chacune de ses paroles. J’oublie pour un moment ma pauvreté, ma bassesse, toute ma lamentable existence, je sens mon sang courir, chaud, par mon corps, comme autrefois, avant ma déchéance »

« Il n’y avait pas un nuage dans mon âme, pas une sensation de malaise, et aussi loin que pouvait aller ma pensée, je n’avais pas une envie, pas un désir insatisfait. J’étais étendu les yeux ouverts, dans un état singulier ; j’étais absent de moi-même, je me sentais délicieusement loin »