Au bonheur des dames – Emile Zola (1883)

Et si nous poursuivons notre quête de l’oeuvre de Zola ?

Dans ce onzième volume de la série des Rougon-Macquart, nous retrouvons Octave Mouret devenu maître des grands magasins.

Octave a su par des procédés commerciaux modernes permettre l’essor exponentiel de son magasin face aux petits commerçants. Denise, une modeste orpheline normande, s’installe à Paris avec ses deux jeunes frères. Elle va intégrer le grand magasin comme vendeuse. Tout d’abord invisible et soumise aux regards méprisants des autres vendeuses, elle a des difficultés à s’intégrer à cette grande machine. Octave va commencer à s’éprendre de cette jeune femme candide et d’une grande dignité. Jusqu’où cette passion va-t-il le conduire ?

A travers le destin de ce grand magasin, Emile Zola dresse le portrait d’un monstre tantaculaire implacable. Au-delà de retracer toute une époque, Zola parvient comme toujours à façonner une galerie de personnages. Si ce n’est pas mon préféré de la série, je ne peux que saluer le travail précurseur de Zola.

Ma note :

Note : 4 sur 5.

Citations :

« C’était vrai, elle adorait Mouret pour sa jeunesse et ses triomphes, jamais un homme ne l’avait ainsi prise toute entière, dans un frisson de sa chair et de son orgueil ; mais, à la pensée de le perdre, elle entendait aussi sonner le glas de la quarantaine, elle se demandait avec terreur comment remplacer ce grand amour ».

« Mouret avait inventé cette mécanique à écraser le monde, dont le fonctionnement brutal l’indignait ; il avait semé le quartier de ruines, dépouillé les uns, tué les autres ; et elle l’aimait quand même pour la grandeur de son oeuvre, elle l’aimait davantage à chacun des excès de son pouvoir, malgré le flot de larmes qui la soulevait, devant la misère sacrée des vaincus ».

« La soirée coula triste et lente, animée uniquement par les pas de l’oncle, qui se promenait d’un bout à l’autre de la boutique vide. Un seul bec de gaz brûlait, l’ombre du plafond bas tombait à larges pelletées, comme la terre noire d’une fosse ».

La danseuse – Patrick Modiano (2023)

Et si nous croisions le chemin d’une danseuse ?

Dans ce récit au ton nébuleux, Patrick Modiano nous transmet des bribes de souvenirs, entre rêve et réalité.

Il y a plusieurs années, il a côtoyé une danseuse et son fils. Entre les répétitions successives et la garde de son fils, Pierre, le narrateur partage les instants volés dans le quotidien d’une danseuse. Au studio Wacker, les cours sont dispensés par Boris Kniaseff un professeur Russe aussi exigeant que brillant. Il apprend à la danseuse toute la discipline de son art qui n’est pas sans rappeler celle de la littérature.

Dans la vie de cette danseuse se cache pourtant des zones d’ombres plus brumeuses, les activités clandestines d’un protecteur, un homme qui commence à la suivre, le visage fantomatique du père de l’enfant se dessine en surplomb. L’écrivain parviendra-t-il à percer le mystère de la danseuse ?

Se plonger dans une oeuvre de Patrick Modiano, c’est savoir apprécier la douceur d’un rêve cotonneux. Nappé de souvenirs, ce court récit porte un regard nostalgique sur un Paris d’antan qui ne demande qu’à éclore. J’ai apprécié ce moment hors du temps et ce style toujours aussi remarquablement unique.

Ma note

Note : 4 sur 5.

Citations

« Voilà qu’un instant du passé s’incruste dans la mémoire comme un éclat de lumière qui vous parvient d’une étoile que l’on croit morte depuis longtemps ».

« C’était cela, la danse, avait-il l’habitude de dire à ses élèves. Tant de travail pour donner l’illusion que l’on s’envole sans effort à quelques mètres du sol… »

« Il n’y avait pas de passé, ni d’étoile morte, ni d’années-lumière qui vous séparent à jamais les uns des autres, mais ce présent éternel ».

L’arabe du futur, tome 2 Une jeunesse au Moyen-Orient (1984-1985) – Riad Sattouf (2015)

Et si nous voyagions au Moyen-Orient avec Riad Sattouf ?

Dans ce second volume de l’arabe du futur, nous continuons à parcourir l’enfance de Riad Sattouf en plein cœur du Moyen Orient.

Nous retrouvons Riad pour sa première année d’école en Syrie. Malgré ses cheveux blonds et ses origines bretonnes, Riad fait tout pour s’intégrer. Dès les premiers jours, il parvient à nouer des relations amicales qui l’aident à faire face aux conditions d’enseignement. En effet, son institutrice use de brimades d’une particulière violence. Malgré tout, Riad réussit progressivement à s’accoutumer aux journées d’école rythmées par l’apprentissage de l’hymne national et du coran.

Son père croit en un avenir florissant dans ce petit village de Ter Maaleh, près de Homs. Il a d’ailleurs pour projet la construction d’une grande villa pour asseoir la position familiale dans la région. Sa mère ne parvient pas à s’acclimater à sa nouvelle vie et se désespère de leurs conditions d’existence. Comment Riad et sa famille vont-ils réussir à s’intégrer pleinement en Syrie ?

Riad Sattouf nous offre avec ce deuxième volume une nouvelle leçon d’humanité. Il parvient, avec tendresse, à nous transmettre des messages forts sur le contexte politique de l’époque et sur les conditions de vie en Syrie. Je continuerai à m’atteler à la découverte de la destinée de Riad.

Ma note :

Note : 3.5 sur 5.

Les armoires vides – Annie Ernaux (1974)

Et si nous évoquions une honte enfouie ?

Dans un récit sans concession Annie Ernaux évoque son enfance et son mépris croissant vis-à-vis de ses parents.

Issu d’un milieu modeste, Annie Ernaux a grandi dans le café-épicerie de ses parents à Yvetot en Normandie. Elle a côtoyé les effluves d’alcool, entrecoupées de mots d’argots et de manières rustres. L’ascension sociale et culturelle elle la découvre par l’école. Chaque année, ses réussites scolaires l’éloignent de ses parents et lui font prendre conscience de la réalité du milieu dont elle est issue.

A travers une écriture impulsive et nerveuse, Annie Ernaux livre un portrait dérangeant de ses parents. Par les mots, elle tente de s’affranchir de la honte qu’elle porte en elle.

Avec une écriture acerbe et tranchante, Annie Ernaux évoque une déchirure sociale. Si j’ai été moins emportée que par les autres oeuvres d’Annie Ernaux, ce premier récit d’une vérité criante et parfois cruelle ne peut laisser indifférent.

Ma note

Note : 3.5 sur 5.

Citations

« On ne parle jamais de ça, de la honte, des humiliations, on les oublie pas les phrases perfides en plein dans la gueule, surtout quand on est gosse ».

« Quand ai-je eu la trouille folle de leur ressembler, à mes parents ? »

Madame Zola – Evelyne Bloch-Dano (1997)

Et si nous apprenions à connaître Madame Zola ?

Dans cette biographie, remarquablement documentée, Evelyne Bloch-Dano met en lumière une femme de l’ombre, Madame Zola. Compagne, amante, admiratrice forcenée, aussi maternelle que déterminée, Alexandrine-Gabrielle Meley devenue Madame Zola a accompagné l’écrivain durant toute sa vie.

Dans cette oeuvre, Evelyne Bloch-Dano revient sur le parcours de cette grisette. Marquée par les drames de sa jeunesse et par la pauvreté, Gabrielle croise la route d’un jeune écrivain Aixois. Complices et déterminés, ils vont prendre leur revanche sur la vie et construire un avenir meilleur. L’osmose indéniable qui les relie va influencer l’écrivain et contribuer à sa réussite.

De Paris à Médan, ils vont bâtir ensemble une vie bourgeoise entourée d’artistes et d’intellectuels. Malgré les trahisons et les blessures de sa jeunesse, Madame Zola continue sans cesse à se battre, aussi forte que fragile, nous suivons pas à pas cette femme remarquable.

J’ai adoré cette lecture qui nous permet de mieux comprendre le parcours de Madame Zola et nous plonge dans l’intimité de ce couple. A travers la vie de la femme qui n’a jamais cesser de le soutenir, c’est aussi tout le destin d’Emile Zola qui est mis en lumière dans cette biographie particulièrement enrichissante. Pour les amoureux de cet immense écrivain, je ne peux que vous recommander de découvrir le portrait passionnant de sa femme.

Ma note

Note : 5 sur 5.

Citations :

« Alexandrine est une compagne au sens plein du terme. Sa vigilance, sa méfiance, sa volonté, son esprit pratique, son sens des réalités, son humour, sa vitalité, son énergie tissent autour de l’écrivain son filet protecteur d’une extraordinaire solidité ».

« Autrement dit, ils ont assez de points communs pour se comprendre, et de dissemblances pour s’aimer »

« Le rôle de Madame Zola est tracé : elle est « la gardienne et la dévouée », chargée de représenter et défendre l’écrivain. Elle va s’y consacrer à plein temps, y puiser des forces neuves – et surtout y gagner une stature que sans l’exil, elle n’aurait jamais acquis »

Nous n’étions pas des tendres – Sylvie Gracia (2024)

Et si nous contemplions la maison du lac et nos souvenirs d’enfance ?

La situation de santé de son père contraint Hélène a passé ses vacances dans son pays natal. Elle a construit sa vie à Paris, loin de l’Occitanie et du village de son enfance. A cinquante ans, Hélène a divorcé. Elle est devenue mère de deux jeunes filles qui ont déjà pris leur envol.

Rien ne semble la rattacher à la maison du lac, cette ancienne bâtisse remplie des souvenirs passés aux côtés de ses parents et de son frère Miguel. Pourtant, la santé de son père se dégrade et ils vont passer quelques semaines ensemble dans cette maison de vacances. Durant ce séjour, elle va renouer avec son père et essayer de s’acclimater à ses silences et à cette relation tout en pudeur. Hélène reprend possession de ce village qui est resté comme figé dans le temps. Elle va croiser à nouveau le regard de Patrick, son amour de jeunesse. Quand tout s’accélère, Hélène réussira-t-elle à concilier sa nouvelle vie et l’omniprésence de ses souvenirs ?

Dans ce récit, Sylvie Gracia explore le rapport à nos parents, à la vieillesse et aux amours enfouis. J’ai aimé l’atmosphère de ce roman qui se lit facilement mais a manqué, pour ma part de consistance. Il ne me laissera pas une trace indélébile même si j’ai passé un agréable moment de lecture.

Ma note

Note : 2.5 sur 5.

Seul le mensonge est vrai – Malik Sam (2024)

Et si nous révélions l’implacable vérité du parcours des migrants ?

Nour est une femme forte qui a dû apprendre à cacher sa différence et sa fragilité.

Elle a fui le Bénin pour se réfugier dans le camp de Choucha, au sud-est de la Tunisie. Une seule phrase résonne en elle inlassablement « passer coûte que coûte ». Elle doit atteindre les terres européennes et traverser la Méditerranée. Le salut est en Europe, loin des conflits, de la faim et des drames. Elle rencontre des humanitaires mais aussi des passeurs qui semblent avoir tout pouvoir sur la région et sur son avenir.

La traversée a donc un prix. Elle va devoir tout endurer, mettre de côté sa morale et devenir impitoyable pour survivre. Finira-t-elle par perdre son âme ?

Dans ce premier roman noir, Malik Sam nous révèle le quotidien des migrants fait de violences et d’atrocités. Un récit parfois insoutenable qui glace et nous entraine jusqu’à la dernière ligne. Une oeuvre coup de poing qui ne laisse pas indifférent et dévoile des vérités crues et implacables.

Ma note :

Note : 4 sur 5.

Citations :

« Le monde des hommes est un univers de violence et de domination. Qu’on ne vienne pas lui parler de la bonté de l’être humain. Quand on t’arrache ta dignité par lambeaux. Comme des morceaux de peau qui partent »

« C’est un silence apaisé. Ensemble, et séparées. On pourrait les croire seules sur une planète abandonnée. Sans passé ni futur, que le ciel constellé au bout de leurs doigts »

Lettre à D. – André Gorz (2006)

Pour la Saint-Valentin, et si nous partagions une longue lettre d’amour ?

Dans ce court écrit, André Gorz déclare son amour à Dorine, sa femme. Il décrit comment elle a transcendé sa vie mais aussi son oeuvre.

A la fois philosophe, journaliste ou écologiste, André Gorz est un homme de convictions et d’engagements. Dans ce texte, il décide de réhabiliter cette femme, trop longtemps dans l’ombre de son oeuvre. Il va lui redonner la place centrale qu’elle occupe dans sa vie depuis le premier jour de leur rencontre.

Séduisante et intelligente, Dorine par son aura a tout de suite charmé André. Son accent britannique et sa prestance étaient indéniables.

L’éclat de cet amour fusionnel est mis en lumière dans cette déclaration d’une grande sensibilité qui émeut jusqu’aux larmes.

Ma note :

Note : 4.5 sur 5.

Citations :

« Tu vas avoir quatre-vingt-deux ans. Tu as rapetissé de six centimètres, tu ne pèses que quarante-cinq kilos et tu es toujours belle, gracieuse et désirable. Cela fait cinquante-huit ans que nous vivons ensemble et je t’aime plus que jamais. Je porte de nouveau au creux de ma poitrine un vide dévorant que seule comble la chaleur de ton corps contre le mien ».

« Nous n’étions pas pressés. J’ai dénudé ton corps avec précaution. J’ai découvert, coïncidence du réel avec l’imaginaire, l’Aphrodite de Milos devenue chair ».

« Nous aimerions chacun ne pas avoir à survivre à la mort de l’autre. Nous nous sommes souvent dit que si, par impossible, nous avions une seconde vie, nous voudrions la passer ensemble ». 

Trop humain – Anne Delaflotte Mehdevi (2024)

Et si nous mélangions modernité et souvenirs enfouis ?

Suzie est une des figures d’un modeste café de campagne. Elle tient ce café restaurant où se rassemble tous les habitués du village de Tharcy depuis des années. Vestige des souvenirs d’antan, du bal du village, son café sera confronté à la modernité. Si la région s’est transformée et qu’elle accueille désormais les néo-ruraux qui ont choisi de s’installer à la campagne, elle a conservé ses traditions.

Monsieur Peck, un modeste retraité, passionné de nouvelles technologies, vient de s’installer dans l’ancien presbytère. Mais surtout, cet ancien ingénieur a acheté pour sa retraite un robot faisant office de fidèle compagnon et même d’auxiliaire de vie. Véritable clone humain, Tchap communique avec ses semblables. Lorsqu’il rentre dans le café, Tchap fait naître autour de lui les regards curieux, interrogateurs mais aussi une animosité chez les habitants. L’apparition de ces nouvelles technologies ne semble pas pouvoir cohabiter avec leurs traditions rurales.

Tout d’abord surprise, Suzie va finalement s’attendrir pour ce Tchap. Elle va nouer avec lui une relation particulière allant jusqu’à lui révéler ses souvenirs.

Ce récit interroge l’impact de la modernité sur nos traditions et les vestiges des temps anciens. J’ai aimé cette plongée dans ce café de campagne et dans les souvenirs de Suzie. Si je n’ai pas été totalement transportée, le personnage de Suzie m’a beaucoup marquée et fait de ce roman une oeuvre tendre et singulière.

Ma note :

Note : 2.5 sur 5.

Citation :

« Les ragots sont une des distractions qu’on s’offre à la campagne, à défaut de théâtre »

Le roitelet – Jean-François Beauchemin (2021)

Et si nous parlions d’un homme aussi fragile qu’un oiseau ?

Dans ce court récit, Jean-François Beauchemin nous parle de son frère. Un être à la fragilité exacerbée, à l’image d’un oiseau délicat « le roitelet » ou d’un roi régnant sur un monde de chimères.

Jean-François vit au plus proche de la nature dans une vie faite de simplicité. Autour de lui sa femme Livia, son chien et son chat accompagnent le silence de la campagne. Cette vie calme est toujours reliée à celle de son frère cadet. L’écrivain a tissé une relation fusionnelle avec lui depuis l’enfance faite de complicité mais aussi d’inquiétude.

Son frère souffre de schizophrénie. Le diagnostic posé c’est tout un quotidien qui s’organise autour de lui. Jean-François l’accompagne par sa présence, ses silences et son calme. Si l’apaisement n’est pas toujours possible, il parvient grâce à la profonde tendresse qui les relie à contenir les ombres psychiques qui planent autour de lui.

Un récit pudique et délicat emprunt d’une profonde poésie. Si ce livre ne me laissera pas une trace indélébile, il se vit comme une promenade dans la forêt, au plus proche de la simplicité de la nature et des méandres de nos esprits.

Ma note

Note : 2.5 sur 5.

Citation :

« Il ressemblait, avec ses cheveux courts aux vifs reflets mordorés, à ce petit oiseau délicat, le roitelet. Oui c’est ça : mon frère devait peu à peu un roitelet, un oiseau fragile dont l’or et la lumière de l’esprit s’échappaient par le haut de la tête. Je me souvenais aussi que le mot roitelet désignait un roi au pouvoir très faible, régnant sur un pays de songes et de chimères »