La Pouponnière d’Himmler – Caroline de Mulder (2024)

Et si nous entrions dans une maternité glaçante ?

Dans ce roman choral, Caroline de Mulder propose une immersion dans les rouages d’un programme de naissance contrôlé par le régime nazi : les Lebensborn.

Au cœur de la Bavière, dans l’un des Lebensborn « Heim Hochland » inauguré par Heinrich Himmler en 1936, les nouveau-nés doivent devenir de futurs Aryens au « sang pur ». Dans cette maternité, nous suivons trois personnages aux destins diamétralement opposés.

Renée, jeune française tombée enceinte d’un soldat allemand, a subi la honte dans son pays. Elle trouve refuge en Allemagne mais comprend très rapidement que, même si son statut de femme enceinte la protège, elle n’a pas véritablement sa place.

Helga, une infirmière dévouée au régime mais aussi aux mères et aux nouveau-nés, qui va peu à peu entendre la voix de sa conscience. Enfin Marek, un prisonnier revenu de l’enfer de Dachau, qui peine à survivre. Lorsque la guerre se rapproche, les destins de ces trois personnages vont s’entrecroiser. Quel avenir pour les enfants des Lebensborn ?

Avec un style incisif et saisissant, Caroline de Mulder décrit l’organisation de ces maternités visant à promouvoir « la pureté raciale » et fabriquer les futurs guerriers du régime avec des critères de sélection glaçants. En s’appuyant sur un socle documentaire étayé, elle propose une description d’un pan souvent méconnu de l’idéologie nazie. Une lecture déchirante qui témoigne de toute la noirceur du nazisme.

Ma note

Note : 4 sur 5.

Citations

« Le malheur de la veille peut donc devenir le bonheur du lendemain, et ainsi il est un puits sans fond dans lequel on peut tomber toujours plus bas. Le malheur est sans doute ce qui donne l’idée la plus juste de ce qui peut-être l’infini ».

« Il n’y a pas d’un côté le bien, de l’autre le mal, il y a de longues glissades dont on ne se relève pas, et des passages quelquefois imperceptibles de l’un à l’autre. Quand on s’en rend compte, il est déjà trop tard ».

Marcher dans tes pas – Léonor de Recondo (2025)

Et si nous évoquions un exil familial ?

Dans ce récit poétique et sensible, Léonor de Recondo évoque la fuite précipitée de sa famille sous la menace franquiste.

En 2022, Léonor de Recondo a la possibilité d’acquérir la nationalité espagnole, en tant que descendante d’exilés politiques. Ces démarches administratives seront l’occasion de comprendre son histoire familiale.

Dans cette quête identitaire intime, Léonor de Recondo fait surgir l’image de sa grand-mère, Enriqueta. Femme courageuse et discrète, Enriqueta est un véritable point d’ancrage pour toute sa famille et vit dans un foyer paisible en Espagne. En août 1936, lorsque le pays plonge dans la guerre civile, elle doit fuir brusquement sa maison et traverse le pont reliant Irun et Hendaye avec ses enfants. Loin de ses terres natales, Enriqueta arrivera-t-elle à préserver l’identité familiale et à se reconstruire ?

En convoquant les fantômes familiaux, Léonor de Recondo s’enracine dans le territoire de ses ancêtres. Elle plonge dans ce passé fragilisé et interroge cette filiation avec un style intime mêlant souvenirs et poésie.

Ma note

Note : 3 sur 5.

Citations

« Mais on n’oublie pas sa langue maternelle, aussi complexe soit-elle. Elle est la terre, le lien, le chant, le réconfort, la rigueur avec laquelle on se construit ». 

« Enfants et petits-enfants, souvenons-nous.
La mémoire se travaille, elle n’est pas acquise, elle se cultive.
Souvenons-nous ».

L’homme sous l’orage – Gaëlle Nohant (2025)

Et si nous dévorions un huis clos énigmatique ?

Tandis que la Première Guerre mondiale fait rage, à l’écart du front, un château reculé, au cœur d’un domaine viticole, semble encore préservé. Un soir d’orage, un homme se présente aux portes de la demeure et demande refuge à la maîtresse de maison, Isaure.

Isaure reconnaît Théodore, un peintre talentueux qu’elle avait déjà accueilli plusieurs fois en temps de paix. Lorsqu’elle découvre qu’il est déserteur, Isaure le congédie froidement. Sa fille, Rosalie, emportée par un élan de compassion et une fascination pour Théodore, décide de le cacher au grenier. Jusqu’où ce secret va-t-il entraîner Rosalie ?

Porté par des personnages lumineux et complexes, ce roman bien construit nous transporte dès la première ligne. Au-delà d’une histoire d’amour dans le décor de la Grande Guerre, Gaëlle Nohant interroge le parcours des femmes restées à l’arrière du front et dénonce le carcan imposé aux jeunes filles. En conjuguant émancipation féminine et traumatismes de guerre, ce récit, d’une force romanesque indéniable est une belle réussite !

Ma note

Note : 4 sur 5.

Citation

« J’ai besoin de ton espoir pour ne pas renoncer au mien »

La mémoire délavée – Nathacha Appanah (2023)

Et si nous témoignions de nos origines ?

Dans ce court récit, avec beaucoup d’émotion et de pudeur, Nathacha Appanah retrace le parcours de ses ancêtres. Elle raconte comment son trisaïeul est arrivé à l’île Maurice et a connu une vie d’asservissement sur les plantations sucrières coloniales.

En 1872, il quitte l’Inde et part dans un voyage lointain et dangereux vers l’Ile Maurice. A son arrivée avec sa femme et son fils, il rêve d’un avenir prospère mais connaîtra la servitude. D’une génération à l’autre, la famille de Nathacha Appanah a vécu sur l’île. Parviendront-ils à s’y intégrer ?

Dans ce livre intime et émouvant, Nathacha Appanah amorce un travail d’une grande sensibilité autour de la mémoire familiale. Ce récit est aussi l’occasion de rendre un véritable hommage à ses grands-parents. Ponctuée de photographies, cette oeuvre lumineuse fait monter les larmes…

Ma note

Note : 4 sur 5.

Citations

« La déshumanisation immédiate que provoque l’attribution d’un numéro à un être humain ne m’échappe pas. C’est un couperet qui marque l’avant et l’après; c’est une marque au fer rouge qu’on applique, brûlante et grésillante »

« Tant qu’il y aura des mers, tant qu’il y aura la misère, tant qu’il y aura des dominants et des dominés, j’ai l’impression qu’il y aura toujours des bateaux pour transporter les hommes qui rêvent d’un horizon meilleur ».

Libre Ida – Christian Boghos (2024)

Et si nous entendions le cri d’une révolte ?

Dans ce roman, Christian Boghos nous propose de suivre l’engagement d’une femme en quête de liberté.

Face à la montée du fascisme en Italie et à l’influence de Mussolini, Ida a décidé de s’éveiller. Elle choisit de faire face à la violence des chemises noires et s’engage dans la résistance. Si ses premiers pas dans le mouvement sont timides, son influence grandit peu à peu et elle devient un véritable relai pour permettre au parti communiste de consolider son influence en Sicile.

Tapie dans l’ombre, elle va multiplier les actions. Au coeur de la résistance, elle perçoit aussi qu’elle est une femme soumise à l’influence écrasante et à la violence des hommes. Au-delà d’une révolte politique pourra-t-elle gagner sa liberté ?

Si j’ai beaucoup aimé la thématique et le versant politique de ce roman, je n’ai pas été transportée par la trame narrative. Si ce roman propose une ode à la liberté féminine, il a pour ma part manqué de relief.

Ma note

Note : 2 sur 5.

Citation

« Quand un pays s’enfonce dans une folie que peut-on faire chacun à sa place ? Agir sur son cercle proche, relier, sauver, aider en espérant que les autres feront de même ».

La petite-fille – Bernhard Schlink (2023)

Et si l’amour pouvait tout réconcilier ?

Kaspar, un septuagénaire passionné de littérature tient une modeste librairie à Berlin. Suite au décès soudain de Brigit sa femme, Kaspar découvre dans son bureau l’ébauche d’un roman. Entre les lignes, les secrets de Brigit se dévoilent. Il découvre qu’elle a abandonné sa fille lors de sa naissance avant de prendre la fuite pour l’Allemagne de l’Ouest avec lui.

Cette fille inconnue, élevée dans l’Allemagne de l’Est, offre la possibilité pour Kaspar d’avoir une famille. Il décide de reconstruire le passé de Brigit et de retrouver l’enfant perdu de la RDA. Sa quête le mène jusqu’à sa petite-fille par alliance, Sigrun. Cette adolescente à la chevelure de feu redonne à Kaspar une toute nouvelle vitalité. Il va se jeter dans cette nouvelle relation pleine de promesses et lui faire partager son amour pour l’art et la culture.

Cependant, Sigrun a depuis toujours évolué dans un milieu bien différent des valeurs de Kaspar. Fervente antisémite et négationniste, Sigrun glorifie des idéaux glaçants. Une relation pourra-t-elle se tisser entre eux malgré tout ce qui les oppose ?

Dans ce roman émouvant, Bernhard Schlink convoque le passé d’une Allemagne morcelée. J’ai beaucoup aimé cette oeuvre, le personnage de Kaspar tout en pudeur suscite énormément de tendresse. La relation qu’il noue avec sa petite-fille m’a profondément émue.

Ma note

Note : 4 sur 5.

Citations

« Quand j’écoute Bach, j’ai le sentiment que la musique contient tout, le léger et le lourd, le beau et le triste, et qu’il les réconcilie ».

« Il fit une pause. Devait-il ajouter qu’il était fier d’elle?
Mais il voyait venir l’échange où elle se dirait fière d’etre une Allemande, et il répondrait qu’on ne peut pas être fier de ce qu’on est, mais seulement de ce qu’on a le mérite d’avoir fait, et il n’avait certes pas mérité Sigrun. II décida aussi de ne pas lui dire qu’il était heureux qu’elle soit sa petite-fille; soit il lui manifesterait ce bonheur et elle le remarquerait en de nombreuses situations, et alors il n’aurait pas besoin de l’exprimer, soit l’exprimer ne servirait à rien là où il échouerait à le manifester et à le lui faire remarquer. Il ne souhaitait pas avoir d’autre petite-fille, il avait trouvé celle-ci et voulait la garder. »

La douceur de l’eau – Nathan Harris (2022)

Et si nous suivions une quête vers l’émancipation ?

Dans ce premier roman, Nathan Harris nous propose une immersion au lendemain de la guerre de Sécession. Au coeur de la Géorgie, dans la petite ville de Old Ox, Landry et Prentiss connaissent la liberté. Ils viennent d’être émancipés par les soldats unionistes et peuvent enfin se libérer de leur maître et quitter la plantation de Ted Morton.

S’ils ne sont plus asservis, l’avenir des deux frères reste incertain. Le pays n’offre aucun travail pour les anciens esclaves. Ils se réfugient en forêt et rencontrent le propriétaire des terres voisines de leur ancienne plantation, George Walker. Ravagé par la douleur et la mélancolie, George se lie d’amitié avec les deux frères et leur propose un travail. Récemment affranchis, Landry et Prentiss se montrent d’abord méfiants et redoutent une nouvelle servitude. Ils finissent par accepter cette proposition inespérée mais le retour de Caleb, le fils de George, bouleversera leur destin. Pourront-ils enfin accéder à la liberté ?

Cette fresque américaine réussie dresse le portrait de personnages intenses et déchirés par leurs contradictions. Avec une belle maîtrise, Nathan Harris parvient à nous plonger dans une intrigue pleine de rebondissements mêlant violence et fraternité. J’ai apprécié ce roman profondément humain qui nous interroge sur le prix de la liberté.

Ma note

Note : 3.5 sur 5.

Citation

« Réunis au départ par une passion partagée pour l’indépendance, la capacité de traverser une grande partie de la journée en silence, ils avaient, pour exprimer leurs sentiments, seulement l’échange de regards et d’effleurements. Ainsi le lien qui les unissait s’était solidifié au fil des années, mais si ce lien était peu enclin à plier, il présentait néanmoins un point de faiblesse, un seul, du fait que son existence même était pour eux une source d’embarras. Ils étaient deux à prétendre n’avoir besoin de personne et voilà à présent qu’ils avaient désespérément besoin l’un de l’autre ».

Certaines n’avaient jamais vu la mer – Julie Otsuka (2011)

Et si nous embarquions pour l’Amérique ?

Avant la Seconde Guerre mondiale, de nombreuses japonaises acceptent de quitter leur pays natal pour l’Amérique. Quand elles embarquent sur le bateau et commencent une lente et éprouvante traversée, elles sont déjà mariées à des époux qui semblent avoir tout réussi.

Lors de leur arrivée aux Etats-Unis, elles doivent cependant faire face à la réalité de leur condition. L’humiliation et la misère deviennent leur quotidien. Elles doivent s’acclimater à des hommes qu’elles n’ont jamais vues. Certains sont doux et conciliants alors que d’autres seront violents et impitoyables. Entre désillusion et déracinement, elles plongent parfois dans un désespoir abyssale. Lorsque la Seconde Guerre mondiale fait rage, la vie de ses exilées va prendre un nouveau tournant.

Durant toute la narration Julie Otsuka utilise le « nous » afin de créer une véritable communauté entre ces femmes et une puissance particulière à son récit. Si j’entends la force de la narration, cette distance ne m’a pas permis de m’attacher pleinement aux personnages. Si je n’ai pas été totalement submergée ou émue par ce roman, j’ai apprécié la description pudique d’une période oubliée de l’histoire.

Ma note :

Note : 2 sur 5.

Citation :

« Sur le bateau nous étions presque toutes vierges » : « nous », ces femmes japonaises – « certaines n’avaient que quatorze ans et c’étaient encore des petites filles » – qui traversent le Pacifique vers la Californie où les attendent leurs « fiancés », des hommes qu’elles n’ont jamais rencontrés. On est au tout début du XXe siècle. Masayo, Mitsuyo, Nobuye, Kiyono (et tant d’autres rassemblées dans ce « nous ») rêvent de vies nouvelles, d’amour, les photos envoyées au Japon ont fait naître l’espoir »

Les raisins de la colère – John Steinbeck (1939)

Et si nous parlions d’un chef-oeuvre humaniste ?

Avec les raisons de la colère, John Steinbeck nous transporte dans une épopée familiale émouvante et criante d’humanité.

Tout juste sorti de prison, Joah rejoint sa famille sur les modestes terres de l’Oklahoma. A son arrivée, il découvre que ses proches s’apprêtent à partir. Face à l’industrialisation croissante de l’Amérique, ils doivent quitter leurs terres agricoles pour l’ouest des Etats-Unis. Ils rêvent de la Californie, de terres libres et ensoleillées où l’ensemble de la famille pourra cultiver des fruits, trouver du travail et de la nourriture.

Pourtant cette traversée américaine sera rude et semée d’embuches. Si la Californie a un parfum d’Eldorado, la route est longue et les promesses de l’ouest incertaines. De route en route, la famille Joad rencontre d’autres fermiers contraints également à l’exil. Face à des conditions atroces, les gestes d’entraide et l’espoir demeurent. Cependant confrontés à l’injustice de leurs conditions la colère gronde. Jusqu’où les conduira ce périple ?

Monument de la littérature américaine, ce roman retraçant la Grande Dépression qui a frappé les Etats-Unis est à mettre entre toutes les mains. Dans un style brut et réaliste, John Steinbeck parvient à nous plonger totalement au coeur de cette famille. J’ai partagé leur voyage et je suis profondément marquée par ce témoignage social bouleversant. Un coup de coeur que je ne peux que vous recommander.

Ma note :

Note : 5 sur 5.

Coup de ❤

Citations :

« En route pour la Californie, ou ailleurs… Chacun de nous, tambour-major à la tête d’un régiment de peines, de douleurs, marchant le coeur plein d’amertume. Et un jour, toutes les armées des coeurs amers marcheront toutes dans le même sens. Et elles iront toutes ensemble et répandront une terreur mortelle ».

« Si vous qui possédez les choses dont les autres manquent, si vous pouviez comprendre cela, vous pourriez peut-être échapper à votre destin. Si vous pouviez séparer les causes des effets, si vous pouviez savoir que Paine, Marx, Jefferson, Lénine furent des effets, non des causes, vous pourriez survivre. Mais cela vous ne pouvez pas le savoir. Car le fait de posséder vous congèle pour toujours en « Je » et vous sépare toujours du « Nous » »

La propagandiste – Cécile Desprairies (2023)

Et si nous dévoilions le passé d’une collaboratrice sous l’occupation ?

Lorsqu’elle était enfant, des zones d’ombre ont toujours plané autour de sa mère, Lucie. Bien des années plus tard, la narratrice devenue historienne cherche à percer le mystère de cette mère énigmatique qu’elle n’a jamais véritablement comprise.

En retraçant le parcours de sa mère dans le Paris de l’occupation, elle va essayer de lever le voile sur les secrets de famille. Lucie a toujours eu pour habitude d’organiser des réunions bruyantes et frivoles avec les femmes de la famille dans un appartement bourgeois. Lors de ces rencontres, elle a gardé le silence sur les années de guerre. Pourtant, certains non-dits sont bien présents et la narratrice a toujours discerné les opinions tranchées de sa mère.

Pour mieux comprendre Lucie, il faut aussi mieux connaître un fantôme masculin qui a occupé une place centrale dans sa vie. Cet homme c’est le grand amour de Lucie. Elle l’a connue durant la Seconde Guerre mondiale et a partagé avec lui le même engagement politique. Encore aujourd’hui, son nouveau mari et père de la narratrice n’a jamais contredit l’omniprésence de cet homme. Au fil de ses recherches, l’historienne va découvrir tout l’engagement de sa mère. Devenue fervente militante nazie, collaboratrice et propagandiste active, Lucie a-t-elle été entrainée par amour ou emportée par des convictions plus profondes ?

Derrière cette femme forte se cache des convictions glaçantes. J’ai apprécié ce regard différent porté sur les années d’occupation. Dans ce premier roman imminément personnel, Cécile Desprairies nous dévoile le parcours de sa propre famille. Un récit enrichissant sur une période sombre de l’histoire.

Je remercie les éditions du seuil et l’équipe Babelio pour l’envoi de ce livre à paraitre le 18 août prochain.

Ma note :

Note : 3 sur 5.

Citation :

« Depuis quelques temps, Lucie, qui n’a que vingt-quatre ans, adopte un style à la Goebbels : fanatique, exalté mais maîtrisé. La moindre prise de parole est conçue comme un évènement d’une intensité dramatique hors du commun, quelque part entre la transe et l’extase ».