Souvenirs des montagnes au loin : Carnets dessinés – Orhan Pamuk (2022)

Et si nous parcourions le monde avec Orhan Pamuk ?

Véritables journaux intimes ponctués de pensées et de dessins, les carnets moleskine accompagnent toujours l’écrivain Orhan Pamuk.

Grand écrivain turc, prix Nobel de littérature, Orhan Pamuk a parcouru le monde grâce à ses projets littéraires. Nous suivons ses pérégrinations entre Florence, Grenade, Venise, New-York, Goa, Milan, Los Angeles ou Lyon… Dans ses carnets il partage son attrait pour les paysages mais il nous livre aussi sa fascination pour sa ville natale : Istanbul.

Au-delà de son admiration pour la nature, il ponctue ses dessins de ses pensées intimes. Il dévoile ses angoisses, ses cauchemars, ses inquiétudes par rapport à la création du musée de l’innocence ou son processus d’écriture. Ainsi, nous suivons son parcours de 2009 à 2021, il jette sur le papier ses doutes par rapport à ses futurs romans « Cette chose étrange en moi » ou « Les Nuits de la peste ».

Nous l’accompagnons ainsi dans ses longues journées d’écriture. En parallèle il témoigne avec force des menaces qui pèsent sur lui ou de ses inquiétudes pour l’avenir de son pays.

Grâce à la lecture de ses carnets, Orhan Pamuk nous permet d’être au plus proche de son imaginaire. Un très bel objet artistique qui nous plonge dans la pensée intime d’un grand écrivain avec qui il est plaisant de contempler la beauté du monde.

Ma note :

Note : 4 sur 5.

Citations :

« Nous n’aimons pas les livres parce qu’ils nous rappellent au monde, mais parce qu’ils nous le font oublier… »

« Nous vivons des moments, le temps passe et le songe que nous appelons notre vie peu à peu s’estompe ».

« J’ai attendu longtemps, espérant que lettres et mots surgiraient d’entre les branches, les feuillages qui tremblaient sous le vent »

Samouraï – Fabrice Caro (2022)

Et si nous choisissions un roman désopilant ?

Ecrivain en quête d’une idée, amoureux éconduit, ami en deuil, Alan Cuartero traverse une période difficile.

En plein été, ses voisins lui confient leur piscine d’un bleu limpide. Il pense que l’occasion est bonne pour s’installer sur leur terrasse et avancer sur un nouveau projet de roman. Avant une rupture brutale, Lisa lui a asséné ces mots : « tu ne peux pas écrire un roman sérieux ? ». Lisa a préféré choisir un autre homme, beaucoup plus sérieux, un professeur d’université spécialiste de Ronsard. Dans un esprit revanchard, Alan est bien décidé à s’atteler à une oeuvre marquante. Il envisage d’explorer l’histoire de ses ancêtres et leur arrivée en France pour fuir la dictature de Franco.

Malgré ses projets littéraires, Alan est plongé dans sa morosité. Pour lui changer les idées, ses amis décident de lui présenter plusieurs femmes. Sans conviction, il multiplie les rencontres amoureuses mais rien ne semble le dérider. Enseveli par ses angoisses, arrive-t-il à trouver l’apaisement en contemplant la piscine à l’ombre de la terrasse de ses voisins ?

Dans un récit aussi drôle que tendre, Fabrice Caro dresse le portrait d’un homme en pleine crise existentielle. J’ai été charmée par ce roman qui parvient à nous faire sourire et à nous questionner sur l’absurdité de nos existences. Une prescription à consommer sans modération contre le blues de la rentrée

Ma note :

Note : 4 sur 5.

Citations :

« Je grimpe d’un cran dans la déprime en constatant qu’elle est plus belle que jamais, et les filles deviennent-elles plus belles parce qu’elles nous quittent ou avions-nous fini de voir qu’elles étaient belles et c’est la raison pour laquelle elles finissaient par nous quitter ? »

« C’est fou comme les maisons des parents ne changent pas, immuables musées traversant les siècles, conservatoires du paradis perdu, les mêmes assiettes décorées sur le meuble, les mêmes meubles, les mêmes nappes, les mêmes tableaux de chalets suisses de boîtes de chocolats au mur, ou peut-être est-ce mon souvenir qui déforme, peut-être est-ce une partie de moi qui veut que rien n’ait changé ».

Les années – Annie Ernaux (2008)

Et si nous évoquions des souvenirs avec Annie Ernaux ?

Dans ce récit intime, Annie Ernaux fait coexister son existence singulière avec les bouleversements de toute une génération.

Depuis sa naissance pendant la Seconde Guerre Mondiale jusqu’à sa vie d’adulte, elle témoigne de sa trajectoire inscrite dans une mutation historique et politique. Annie Ernaux retrace mai 68, les élections successives, les bouleversements économiques et technologiques pour mettre en lumière les propres évolutions de sa vie. Annie Ernaux évoque aussi son destin de femme aux multiples facettes, étudiante, mère, grand-mère, amante, autrice. Au travers des photos successives éclairant chaque étape de sa vie, elle parvient à faire surgir nos propres existences.

Dans ce récit imprégné d’une histoire collective, Annie Ernaux se met davantage à distance. Avec finesse, elle s’efface peut-être pour laisser résonner nos propres souvenirs. Si je garde un préférence pour d’autres textes plus intimes d’Annie Ernaux, je ne peux que vous encourager à découvrir l’ampleur de son oeuvre si singulière.

Ma note :

Note : 3.5 sur 5.

Citations :

« La distance qui sépare le passé du présent se mesure peut-être à la lumière répandue sur le sol entre les ombres, glissant sur les visages, dessinant les plis d’une robe, à la clarté crépusculaire, quelle que soit l’heure de la pose, d’une photo en noir et en blanc ».

« Tout s’effacera en une seconde. Le dictionnaire accumulé du berceau au dernier lit s’éliminera. Ce sera le silence et aucun mot pour le dire. De la bouche ouverte il ne sortira rien. Ni je ni moi. La langue continuera à mettre en mots le monde. Dans les conversations autour d’une table de fête on ne sera qu’un prénom, de plus en plus sans visage, jusqu’à disparaître dans la masse anonyme d’une lointaine génération »

« Sauver quelque chose du temps où l’on ne sera plus jamais »

Pays, villes et paysages – Stefan Zweig (1939)

Et si nous entamions un voyage avec Stefan Zweig ?

Dans ce court récit, Stefan Zweig porte un regard humaniste sur le monde. Il décrit avec curiosité et passion les paysages qui ont jalonné ses voyages.

De New York à Bénarès, en passant par l’Europe qu’il a tant chéri ou par la Russie et le Brésil, Stefan Zweig transmet ses impressions de voyage. Il parvient à retranscrire l‘atmosphère qui plane dans les villes qu’il a parcouru. Sa description si personnelle et touchante de Vienne, une ville qu’il a tant connu est particulièrement marquante. Au-delà de l’ambiance des villes, Stefan Zweig nous livre des réflexions politiques et personnelles. Ecrivain visionnaire, il porte un regard percutant et optimiste sur les évolutions de son temps.

Oeuvre méconnu de l’univers de Stefan Zweig, il ne s’agit pas de la plus marquante mais je ne peux que vous inciter à la découvrir pour les amateurs de voyages dépaysants.

Ma note :

Note : 3.5 sur 5.

Citations :

« La jouissance me semble être chez l’homme un droit et même une vertu, tant qu’elle ne contribue pas à l’abêtir ou à l’affaiblir. Je l’ai toujours constaté : ceux-là précisément qui, tant qu’ils le pouvaient, profitaient librement et honnêtement des plaisirs de l’existence s’avéraient les plus courageux dans les situations difficiles et dans le danger, de même que les peuples et les hommes qui ne se battent pas par amour du militarisme mais simplement en y étant contraints se révèlent en fin de compte les meilleurs combattants ».

« Une nature qui apparaît elle-même comme la plus accomplie des œuvres d’art »

Pot-Bouille – Emile Zola (1882)

Et si nous emménagions dans un immeuble bourgeois avec Emile Zola ?

Arrivé à la moitié du cycle des Rougon-Macquart, Emile Zola propose une immersion dans la sphère bourgeoise et dresse le portrait d’une multitude de personnages.

Lors de son arrivée à Paris, Octave Mouret emménage rue de Choiseul au quatrième étage d’un immeuble haussmannien et rencontre ses voisins. Un notaire, un architecte, un conseiller à la cour d’appel ou de plus modestes employés se succèdent à chaque étage. Ces familles bourgeoises s’arguent de bonnes moeurs mais derrière les portes closes les adultères et les vices sont innombrables.

Nous retrouvons au dernier étage de l’immeuble, des vies parallèles celles des femmes de chambre et des cuisinières. Elles évoluent dans l’ombre et connaissent les secrets de famille.

Jeune homme arriviste, Octave use de ses charmes et espère se lier aux femmes pour parvenir à faire fortune. Il évolue au coeur de ces intrigues bourgeoises pour trouver sa place. Jusqu’où cette quête d’ascension le mènera-t-il ?

Emile Zola se sert d’Octave pour retranscrire la vie et décrire la place des femmes à chaque étage de l’immeuble. Avec un style remarquable, ce roman met en lumière l’hypocrisie bourgeoise et la condition des invisibles.

Ma note :

Note : 4.5 sur 5.

Citations :

« Et, de ce flot de paroles, montait le respect, l’appétit furieux de l’argent, toute cette religion de l’argent dont elle avait appris le culte dans sa famille, en voyant les vilenies ou l’on tombe pour paraître seulement en avoir ».

« Ils restaient, la main dans la main, face à face, sans pouvoir détourner les yeux ; et leurs mains se glaçaient, et leurs yeux s’avouaient l’ordure de leur liaison, l’infirmité des maîtres étalée dans la haine de la domesticité. C’était ça leurs amours, cette fornication sous une pluie battante de viande gâtée et de légumes aigres ! »

Âme brisée – Akira Mizubayashi (2019)

Et si nous écoutions un air de musique classique ?

Dans un Japon confronté à la guerre, Yu un violoniste japonais fait le choix de la musique. Avec trois autres violonistes d’origine chinoise, ils se réunissent régulièrement pour partager leur passion. En pleine guerre opposant le Japon et la Chine, ces réunions sont perçues comme un véritable complot politique.

Lors d’une répétition, des soldats pénètrent dans la salle et accusent les musiciens amateurs d’intriguer contre le régime. Le violon de Yu est détruit et Rei, son jeune fils, assiste pétrifié à l’arrestation de son père. Des années plus tard, nous retrouvons Rei en France, la disparition de son père a marqué toute sa vie. Depuis cette journée tragique, il tente de réparer les morceaux brisés de son destin. Parviendra-t-il à trouver l’apaisement ?

Dans ce roman emprunt de beaucoup de tendresse, nous suivons le parcours d’un jeune garçon façonné par la musique. Malgré une destinée tragique, son attrait pour le violon lui a donné un véritable sens à sa vie. Nous le suivons dans sa reconstruction et assistons à des rencontres qui lui révèleront la part enfouie de son enfance. Si le ton de ce roman est emprunt de bon sentiment, j’ai aimé la dimension musicale qui transparait dans le récit et cette passion communicative autour du violon.

Ma note :

Note : 3 sur 5.

Citations :

« Emporté par la haine féroce, il balança le violon par terre de toutes ses forces et l’écrasa de ses lourdes bottes de cuir. L’instrument à cordes, brisé, aplati, réduit en morceaux, poussa d’étranges cris d’agonie qu’aucun animal mourant n’eût émis dans la forêt des chasseurs impitoyables ».

« Une mélodie simple, touchante, lancinante, transparente comme un ruisseau de larmes, commença à couler sur les cordes du premier violon ».

La propagandiste – Cécile Desprairies (2023)

Et si nous dévoilions le passé d’une collaboratrice sous l’occupation ?

Lorsqu’elle était enfant, des zones d’ombre ont toujours plané autour de sa mère, Lucie. Bien des années plus tard, la narratrice devenue historienne cherche à percer le mystère de cette mère énigmatique qu’elle n’a jamais véritablement comprise.

En retraçant le parcours de sa mère dans le Paris de l’occupation, elle va essayer de lever le voile sur les secrets de famille. Lucie a toujours eu pour habitude d’organiser des réunions bruyantes et frivoles avec les femmes de la famille dans un appartement bourgeois. Lors de ces rencontres, elle a gardé le silence sur les années de guerre. Pourtant, certains non-dits sont bien présents et la narratrice a toujours discerné les opinions tranchées de sa mère.

Pour mieux comprendre Lucie, il faut aussi mieux connaître un fantôme masculin qui a occupé une place centrale dans sa vie. Cet homme c’est le grand amour de Lucie. Elle l’a connue durant la Seconde Guerre mondiale et a partagé avec lui le même engagement politique. Encore aujourd’hui, son nouveau mari et père de la narratrice n’a jamais contredit l’omniprésence de cet homme. Au fil de ses recherches, l’historienne va découvrir tout l’engagement de sa mère. Devenue fervente militante nazie, collaboratrice et propagandiste active, Lucie a-t-elle été entrainée par amour ou emportée par des convictions plus profondes ?

Derrière cette femme forte se cache des convictions glaçantes. J’ai apprécié ce regard différent porté sur les années d’occupation. Dans ce premier roman imminément personnel, Cécile Desprairies nous dévoile le parcours de sa propre famille. Un récit enrichissant sur une période sombre de l’histoire.

Je remercie les éditions du seuil et l’équipe Babelio pour l’envoi de ce livre à paraitre le 18 août prochain.

Ma note :

Note : 3 sur 5.

Citation :

« Depuis quelques temps, Lucie, qui n’a que vingt-quatre ans, adopte un style à la Goebbels : fanatique, exalté mais maîtrisé. La moindre prise de parole est conçue comme un évènement d’une intensité dramatique hors du commun, quelque part entre la transe et l’extase ».

L’arabe du futur, tome 1 Une jeunesse au Moyen-Orient (1978-1984) – Riad Sattouf (2014)

Et si nous abordions le premier tome d’une série devenue incontournable ?

Oeuvre emblématique de Riad Sattouf, l’arabe du futur nous révèle la jeunesse de l’auteur entre la Syrie et la Libye.

A travers son propre récit, Riad Sattouf jette un regard sur les bouleversements que le Moyen-Orient a pu connaitre au cours de ces dernières années. Issu d’un père syrien et d’une mère bretonne, Riad Sattouf a dû se construire autour de ces deux cultures.

La famille s’installe tout d’abord en Lybie. Les portraits de Mouammar Kadhafi se multiplient et le régime ne permet pas un accès à la moindre propriété. Les maisons n’ont pas de clés et il est difficile pour eux de s’installer.

Après un rapide retour en France, la famille emménage en Syrie. Le père de Riad croit à un retour prospère et florissant dans son pays natal. Pourtant, son fils d’un blond vénitien a bien des difficultés à s’intégrer, il subit les brimades de ses camarades ou de ses cousins. Comment Riad parviendra-t-il à se construire ?

Porté par un dessin incisif, Riad Sattouf nous dévoile des fragments de son enfance. J’ai beaucoup aimé cette bande dessinée infiniment personnelle où transparait une grande tendresse.

Ma note :

Note : 4 sur 5.

L’herbe rouge – Boris Vian (1950)

Et si nous partagions un instant d’absurdité avec Boris Vian ?

Dans ce récit fantastique et à travers le personnage de Wolf, Boris Vian amorce une introspection psychanalytique.

Wolf a créé une machine à remonter le temps. Avec une frénésie inquiétante, il se replonge inlassablement dans son passé. A cette occasion, il revit son éducation religieuse et les grandes étapes de son parcours amoureux. Ce voyage dans le passé fera ressurgir ses plus profondes angoisses dans le but de les détruire.

Wolf parviendra-t-il à se libérer de ses démons intérieurs ?

Véritable psychanalyse, Boris Vian use du personnage de Wolf pour se libérer de ses propres turpitudes. Avec un style sombre et absurde, il nous plonge dans les méandres de son rapport aux femmes, à son éducation ou à sa conception de la société. Si j’ai aimé le style inimitable de Boris Vian, ce récit complètement loufoque n’est pas mon préféré de l’auteur.

Ma note :

Note : 2 sur 5.

Citations :

« Il y a deux façons de ne plus avoir envie de rien : avoir ce qu’on voulait ou etre découragés parce qu’on l’a pas »

« C’est tuant, de traîner avec soi ce qu’on a été avant, dit Wolf. »

Nana – Emile Zola (1880)

Et si nous nous rapprochions d’un mythe féminin ?

Personnage emblématique de l’oeuvre de Zola, Nana la fille de Gervaise est l’une des courtisanes les plus célèbres de la littérature.

La jeune Nana peine à élever son fils Louis et doit user de son corps pour subvenir à ses besoins. Peu à peu, sa beauté et sa sensualité lui permettent d’accéder à la réussite. Les portes du théâtre s’ouvrent face à son charisme, elle devient Vénus et se mue en actrice.

Ses charmes indéniables lui donnent accès à une ascension tant convoitée. Elle utilise son pouvoir implacable sur les hommes pour asseoir sa domination. Pourtant, comme une ombre le déclin rode autour d’elle, un élan amoureux inéluctable va précipiter sa perte. Nana cédera-t-elle à la passion alors que son goût du luxe ne cesse de croitre ?

Emile Zola nous offre un portrait de femme fascinant. Récit d’une émancipation féminine d’une grande modernité, j’ai aimé suivre le parcours flamboyant de Nana jusqu’à la dernière ligne. Une des oeuvres les plus marquantes de la série des Rougon-Macquart que je vous recommande les yeux fermés.

Ma note :

Note : 5 sur 5.

Coup de ❤

Citations :

« Alors, Nana devint une femme chic, rentière de la bêtise et de l’ordure des mâles, marquise des hauts trottoirs »

« C’était comme la cuisson d’une blessure ancienne, non plus ce désir aveugle et immédiat, s’accommodant de tout, mais une passion jalouse de cette femme, un besoin d’elle seule, de ses cheveux, de sa bouche, de son corps qui le hantaient. Lorsqu’il se rappelait le son de sa voix, un frisson courait ses membres. Il la désirait avec des exigences d’avare et d’infinies délicatesses »

« C’étaient des souplesses de couleuvre, un déshabillé savant, comme involontaire, exquis d’élégance, une distinction nerveuse de chatte de race, une aristocratie du vice, superbe, révoltée, mettant le pied sur Paris, en maîtresse toute-puissante »