Seul le mensonge est vrai – Malik Sam (2024)

Et si nous révélions l’implacable vérité du parcours des migrants ?

Nour est une femme forte qui a dû apprendre à cacher sa différence et sa fragilité.

Elle a fui le Bénin pour se réfugier dans le camp de Choucha, au sud-est de la Tunisie. Une seule phrase résonne en elle inlassablement « passer coûte que coûte ». Elle doit atteindre les terres européennes et traverser la Méditerranée. Le salut est en Europe, loin des conflits, de la faim et des drames. Elle rencontre des humanitaires mais aussi des passeurs qui semblent avoir tout pouvoir sur la région et sur son avenir.

La traversée a donc un prix. Elle va devoir tout endurer, mettre de côté sa morale et devenir impitoyable pour survivre. Finira-t-elle par perdre son âme ?

Dans ce premier roman noir, Malik Sam nous révèle le quotidien des migrants fait de violences et d’atrocités. Un récit parfois insoutenable qui glace et nous entraine jusqu’à la dernière ligne. Une oeuvre coup de poing qui ne laisse pas indifférent et dévoile des vérités crues et implacables.

Ma note :

Note : 4 sur 5.

Citations :

« Le monde des hommes est un univers de violence et de domination. Qu’on ne vienne pas lui parler de la bonté de l’être humain. Quand on t’arrache ta dignité par lambeaux. Comme des morceaux de peau qui partent »

« C’est un silence apaisé. Ensemble, et séparées. On pourrait les croire seules sur une planète abandonnée. Sans passé ni futur, que le ciel constellé au bout de leurs doigts »

Brisure à senestre – Vladimir Nabokov (1947)

Et si nous parlions d’un philosophe soumis à la toute puissance d’un régime ?

Eminent professeur de philosophie, Adam Krug est un homme reconnu. A la mort de sa femme, il reste seul avec son jeune fils, David. Face à un état tyrannique, il refuse d’obéir au nouveau régime incarné par Paduk, un de ses anciens camarade de classe. La doctrine de cet état appelée ekwilisme met en exergue la normalité des êtres humains et rejette tout mouvement individuel.

Face à l’opposition du professeur, les pressions du régime se multiplient. Ses amis sont arrêtés et l’étau se resserre autour de lui. Adam pourra-t-il être épargné ou devra-t-il vendre son âme au tyran ?

Ce roman dystopique n’est pas sans rappeler le régime bolchévique ou fasciste de l’époque. J’ai apprécié la force de la plume de Nabokov, son cynisme et l’absurdité de son propos. L’angoisse monte tout au long du roman jusqu’à la scène finale où l’absurdité de l’horreur tend à devenir une sinistre farce. Si j’ai trouvé ce récit, entrecoupé d’anagrammes et de mots d’esprits, complexe, il m’a cependant beaucoup marquée.

Ma note :

Note : 3.5 sur 5.

Citation :

« Il laissa monter les larmes, non sans éprouver ce léger plaisir que l’on ressent à s’abandonner à cette pression tiède ; mais l’impression de soulagement fut de courte durée, car dès qu’il les laissa couler elles se firent si abondantes, si atrocement brûlantes que sa vue s’en trouva brouillée et sa respiration altérée ».

Lettres d’amour et de guerre – Pavlo et Viktoriya Matyusha (2024)

Et si nous parlions d’une correspondance amoureuse ?

Dans ce recueil, Doan Bui dévoile la correspondance qui relie Pavlo et Viktoriya Matyusha durant de nombreux mois.

Ce couple séparé par la guerre opposant l’Ukraine et la Russie se livre à une tirade amoureuse entrecoupée de l’horreur du front. S’ils partagent quotidiennement des messages électroniques, ils ont décidé de prendre la plume pour s’envoyer des lettres plus longues, où leurs émotions peuvent davantage s’exprimer.

Ecrivain ukrainien, Pavlo s’est engagé volontairement dès le début du conflit pour défendre son pays. Il a laissé sa femme et ses quatre enfants se réfugier en France. Viktoriya, bouleversée par cette séparation, doit apprendre à s’organiser seule loin de son pays. Elle oscille entre un travail prenant, des déplacements à l’étranger, les contraintes du quotidien et l’éducation de ses enfants. L’absence de Pavlo se fait jour après jour plus insoutenable. Au-delà de son inquiétude grandissante, elle se sent abandonnée. Leur couple pourra-t-il survivre à la guerre ?

Dans cette correspondance intime, Doan Bui révèle le quotidien d’un couple séparé par un conflit insupportable. Au-delà de la force de l’amour qui les relie, j’ai aimé ce nouveau regard porté sur le quotidien insoutenable des ukrainiens. Une plongée dans l’âme ukrainienne qui nous permet de mieux appréhender leurs combats et leurs convictions.

Ma note :

Note : 3.5 sur 5.

Citation :

« Je voudrais te tenir dans mes bras, te serrer, fort, je te tournerai pour pouvoir embrasser ta nuque. Je pouvais faire cela, tous les jours, plusieurs fois par jour et maintenant, je ne peux plus que l’imaginer. Mais la vie, dans notre imagination c’est toujours la vie ».

Lettre à D. – André Gorz (2006)

Pour la Saint-Valentin, et si nous partagions une longue lettre d’amour ?

Dans ce court écrit, André Gorz déclare son amour à Dorine, sa femme. Il décrit comment elle a transcendé sa vie mais aussi son oeuvre.

A la fois philosophe, journaliste ou écologiste, André Gorz est un homme de convictions et d’engagements. Dans ce texte, il décide de réhabiliter cette femme, trop longtemps dans l’ombre de son oeuvre. Il va lui redonner la place centrale qu’elle occupe dans sa vie depuis le premier jour de leur rencontre.

Séduisante et intelligente, Dorine par son aura a tout de suite charmé André. Son accent britannique et sa prestance étaient indéniables.

L’éclat de cet amour fusionnel est mis en lumière dans cette déclaration d’une grande sensibilité qui émeut jusqu’aux larmes.

Ma note :

Note : 4.5 sur 5.

Citations :

« Tu vas avoir quatre-vingt-deux ans. Tu as rapetissé de six centimètres, tu ne pèses que quarante-cinq kilos et tu es toujours belle, gracieuse et désirable. Cela fait cinquante-huit ans que nous vivons ensemble et je t’aime plus que jamais. Je porte de nouveau au creux de ma poitrine un vide dévorant que seule comble la chaleur de ton corps contre le mien ».

« Nous n’étions pas pressés. J’ai dénudé ton corps avec précaution. J’ai découvert, coïncidence du réel avec l’imaginaire, l’Aphrodite de Milos devenue chair ».

« Nous aimerions chacun ne pas avoir à survivre à la mort de l’autre. Nous nous sommes souvent dit que si, par impossible, nous avions une seconde vie, nous voudrions la passer ensemble ». 

Trop humain – Anne Delaflotte Mehdevi (2024)

Et si nous mélangions modernité et souvenirs enfouis ?

Suzie est une des figures d’un modeste café de campagne. Elle tient ce café restaurant où se rassemble tous les habitués du village de Tharcy depuis des années. Vestige des souvenirs d’antan, du bal du village, son café sera confronté à la modernité. Si la région s’est transformée et qu’elle accueille désormais les néo-ruraux qui ont choisi de s’installer à la campagne, elle a conservé ses traditions.

Monsieur Peck, un modeste retraité, passionné de nouvelles technologies, vient de s’installer dans l’ancien presbytère. Mais surtout, cet ancien ingénieur a acheté pour sa retraite un robot faisant office de fidèle compagnon et même d’auxiliaire de vie. Véritable clone humain, Tchap communique avec ses semblables. Lorsqu’il rentre dans le café, Tchap fait naître autour de lui les regards curieux, interrogateurs mais aussi une animosité chez les habitants. L’apparition de ces nouvelles technologies ne semble pas pouvoir cohabiter avec leurs traditions rurales.

Tout d’abord surprise, Suzie va finalement s’attendrir pour ce Tchap. Elle va nouer avec lui une relation particulière allant jusqu’à lui révéler ses souvenirs.

Ce récit interroge l’impact de la modernité sur nos traditions et les vestiges des temps anciens. J’ai aimé cette plongée dans ce café de campagne et dans les souvenirs de Suzie. Si je n’ai pas été totalement transportée, le personnage de Suzie m’a beaucoup marquée et fait de ce roman une oeuvre tendre et singulière.

Ma note :

Note : 2.5 sur 5.

Citation :

« Les ragots sont une des distractions qu’on s’offre à la campagne, à défaut de théâtre »

L’étrange disparition d’Esme Lennox – Maggie O’Farrel (2008)

Et si nous évoquions un troublant secret de famille ?

Esme a été enfermée toute sa vie. Rejetée par sa famille à cause de sa différence, elle a vécu durant soixante ans dans un asile.

Iris, sa plus proche parente est contactée par l’établissement psychiatrique qui va bientôt fermer ses portes. Eberluée, Iris découvre l’existence d’une grande tante oubliée de tous et les médecins lui proposent de la recueillir. Sa grand-mère, Kitty, est la soeur d’Esme. Pourtant, elle n’a jamais mentionné l’existence de sa jeune soeur qui a été effacée de l’histoire familiale.

Iris voit sa vie bouleversée par l’existence de la vieille femme. Va-t-elle accepter de s’occuper d’Esme et lever le voile sur de mystérieux secrets de famille ?

J’ai été naturellement fascinée par le personnage d’Esme et emportée dans cette histoire familiale troublante. Les thèmes abordés entre secrets de famille et internement en psychiatrie sont particulièrement intéressants. J’ai trouvé le fil narratif parfois confus et j’aurai aimé que le parcours des personnages soit abordé avec davantage de profondeur. Malgré ces réserves, j’ai passé un agréable moment de lecture.

Ma note :

Note : 3 sur 5.

Citation :

« Nous ne sommes que des vaisseaux par lesquels circulent des identités, songe Esme : on nous transmet des traits, des gestes, des habitudes, et nous les transmettons à notre tour. Rien ne nous appartient en propre. Nous venons au monde en tant qu’anagrammes de nos ancêtres ».

Le roitelet – Jean-François Beauchemin (2021)

Et si nous parlions d’un homme aussi fragile qu’un oiseau ?

Dans ce court récit, Jean-François Beauchemin nous parle de son frère. Un être à la fragilité exacerbée, à l’image d’un oiseau délicat « le roitelet » ou d’un roi régnant sur un monde de chimères.

Jean-François vit au plus proche de la nature dans une vie faite de simplicité. Autour de lui sa femme Livia, son chien et son chat accompagnent le silence de la campagne. Cette vie calme est toujours reliée à celle de son frère cadet. L’écrivain a tissé une relation fusionnelle avec lui depuis l’enfance faite de complicité mais aussi d’inquiétude.

Son frère souffre de schizophrénie. Le diagnostic posé c’est tout un quotidien qui s’organise autour de lui. Jean-François l’accompagne par sa présence, ses silences et son calme. Si l’apaisement n’est pas toujours possible, il parvient grâce à la profonde tendresse qui les relie à contenir les ombres psychiques qui planent autour de lui.

Un récit pudique et délicat emprunt d’une profonde poésie. Si ce livre ne me laissera pas une trace indélébile, il se vit comme une promenade dans la forêt, au plus proche de la simplicité de la nature et des méandres de nos esprits.

Ma note

Note : 2.5 sur 5.

Citation :

« Il ressemblait, avec ses cheveux courts aux vifs reflets mordorés, à ce petit oiseau délicat, le roitelet. Oui c’est ça : mon frère devait peu à peu un roitelet, un oiseau fragile dont l’or et la lumière de l’esprit s’échappaient par le haut de la tête. Je me souvenais aussi que le mot roitelet désignait un roi au pouvoir très faible, régnant sur un pays de songes et de chimères »

L’inconnu de Cleveland – Thibault Raisse (2023)

Et si nous percions le mystère de Joseph Chandler ?

Dans l’Ohio, le corps d’un homme âgé est retrouvé dans sa salle de bain durant l’été 2002. Rapidement, la police identifie le cadavre, il s’agit de Joseph Chandler, un homme solitaire et mutique qui n’a pas d’entourage. Pour les enquêteurs Chris Bowersock et Ted Kroczak, cette affaire semble banale et la piste du suicide est rapidement privilégiée.

Joseph Chandler vit depuis plusieurs années dans un modeste appartement au sein d’une résidence anonyme. La vie recluse de cet homme au caractère taciturne semble étrange. Contre toute attente, cette enquête ordinaire va dévoiler l’impensable et les policiers vont devoir explorer de nouvelles pistes.

Les investigations menées par de nombreux spécialistes nous amènent à explorer toutes les spéculations afin de lever le voile sur la vie du mystérieux Joseph Chandler. Si cette enquête m’a laissée un goût d’inachevé, je ne peux que vous recommander plus largement cette nouvelle collection aux éditions 10/18 pour les amateurs de faits divers. Cette série addictive au style journalistique recense les affaires criminelles les plus marquantes pour chaque état des Etats-Unis.

Ma note :

Note : 2 sur 5.

Citation :

« On ne verrouille pas son passé au point que même la mort n’en délivre pas la clé »

Un automne de Flaubert – Alexandre Postel (2020)

Et si nous partions à Concarneau avec Flaubert ?

Dans ce court récit, Alexandre Postel tente de percer les mystères qui entourent Gustave Flaubert.

Miné par des problèmes d’argent et par la vente probable de la demeure de sa nièce à Croiset, Gustave Flaubert est rongé par l’inquiétude. En proie à des pensées sombres, il décide de s’éloigner pour quelques semaines et choisit une petite pension proche de la mer. Il séjourne ainsi à Concarneau et retrouve son ami le Docteur Pouchet. Flaubert observe le travail de son ami, chercheur au musée d’histoire naturelle, il dissèque des poissons dans un calme chirurgical. Son séjour sera aussi l’occasion de savourer la cuisine bretonne et de pratiquer, tous les jours, des bains de mer comme pour calmer son anxiété croissante. Si proche de la mer, Gustave Flaubert réussira-t-il à trouver l’apaisement et à écrire ?

J’ai aimé être propulsée au côté de Gustave Flaubert dans ses quelques semaines de villégiatures. Les libertés prises par Alexandre Postel pour retranscrire la vie de l’écrivain rapprochent cet ouvrage du roman. Si j’ai aimé cette délicieuse promenade avec Flaubert et le développement de son processus d’écriture, j’aurai aimé que les aspects biographiques de sa vie soient davantage abordés.

Ma note :

Note : 3 sur 5.

Citation :

« Faute de pouvoir atteindre le calme en lui-même, c’est à la mer qu’il le demandera. Même agitée, la mer accorde toujours le repos à celui qui la regarde. Sa pulsation obstinée inspire à l’homme égaré dans son labyrinthe intérieur le sentiment des choses simples; et à celui qui doute de la vie, le sentiment de la nécessité. Simple et nécessaire, la mer accueille toutes les douleurs. Elle n’offense pas les âmes fatiguées« .

Un amour noir – Joyce Carol Oates (1993)

Et si nous découvrions un amour interdit ?

Carla est une femme sauvage, fille de paysans pauvres, ses cheveux roux et son animalité troublent les habitants de la petite vallée de Chautauqua aux Etats-Unis.

Malgré sa différence, elle s’est résignée à un mariage sans amour. De cette union est née plusieurs enfants. Elle ne s’est jamais véritablement occupée d’eux et semble passer à côté de sa vie. Pourtant, son esprit indomptable ne demande qu’à éclore. Quand elle croise le regard d’un homme noir son coeur bascule. Jusqu’où cette passion interdite va-t-elle l’emporter ?

Dans ce court roman, Joyce Carol Oates dresse le portrait d’une femme insoumise. Un roman sombre qui interroge sur l’intolérance, les conventions et le racisme dans la société américaine. Si ce récit n’a pas la force romanesque des autres ouvrages de Joyce Carol Oates, l’intensité dramatique est bien présente durant toute la lecture.

Ma note :

Note : 3 sur 5.

Citations :

« Je n’ai pas choisi la couleur de ma peau, comment peut-on me la reprocher ? »

« Elle trouvait sa consolation dans la vie impersonnelle qui coulait à travers elle, pareille à un cours d’eau souterrain, invisible et secret ; la vie qui faisait naître les enfants, et dévorait goulûment toute vie organique, et qui animait le vent dans les arbres et faisait battre son cœur malgré elle sans qu’elle puisse intervenir. Elle avait foi en cette vie qui n’avait pas de nom et elle pensa avec une conviction soudaine et une certaine irritation : Non je ne me noie pas ».