Brisure à senestre – Vladimir Nabokov (1947)

Et si nous parlions d’un philosophe soumis à la toute puissance d’un régime ?

Eminent professeur de philosophie, Adam Krug est un homme reconnu. A la mort de sa femme, il reste seul avec son jeune fils, David. Face à un état tyrannique, il refuse d’obéir au nouveau régime incarné par Paduk, un de ses anciens camarade de classe. La doctrine de cet état appelée ekwilisme met en exergue la normalité des êtres humains et rejette tout mouvement individuel.

Face à l’opposition du professeur, les pressions du régime se multiplient. Ses amis sont arrêtés et l’étau se resserre autour de lui. Adam pourra-t-il être épargné ou devra-t-il vendre son âme au tyran ?

Ce roman dystopique n’est pas sans rappeler le régime bolchévique ou fasciste de l’époque. J’ai apprécié la force de la plume de Nabokov, son cynisme et l’absurdité de son propos. L’angoisse monte tout au long du roman jusqu’à la scène finale où l’absurdité de l’horreur tend à devenir une sinistre farce. Si j’ai trouvé ce récit, entrecoupé d’anagrammes et de mots d’esprits, complexe, il m’a cependant beaucoup marquée.

Ma note :

Note : 3.5 sur 5.

Citation :

« Il laissa monter les larmes, non sans éprouver ce léger plaisir que l’on ressent à s’abandonner à cette pression tiède ; mais l’impression de soulagement fut de courte durée, car dès qu’il les laissa couler elles se firent si abondantes, si atrocement brûlantes que sa vue s’en trouva brouillée et sa respiration altérée ».

Vox – Christina Dalcher (2018)

Et si nous évoquions une oeuvre dystopique ?

Dans ce roman, Christina Dalcher imagine un monde où les femmes sont bâillonnées par une société masculine dominatrice et absolue.

Comme toutes les femmes, Jean McClellan porte désormais un bracelet innocent au poignet. Pourtant, celui-ci a une fonction glaçante, il s’agit d’un compteur de mots. Depuis la montée au pouvoir d’un parti extrémiste, toutes les femmes sont limitées par jour à cent mots. Si jamais elles enfreignent la règle, une décharge électrique d’une grande violence vient les rappeler à l’ordre. Sonia, la fille de Jean a désormais peur de prononcer le moindre mot.

Assujetties, les femmes sont cantonnées à leur rôle de mère et d’épouse. Depuis l’avènement du nouveau régime, elles ne peuvent plus travailler et sont assignées aux tâches domestiques.

Brillante docteur en neurosciences, Jean est appelée par le gouvernement pour venir en aide au frère du Président. Elle voit dans cette mission le moyen de libérer sa fille mais va découvrir l’impensable. Quand elle se rapproche du pouvoir, elle perçoit la révolte qui sommeille en elle…

Un récit résolument féministe qui décrit une société cauchemardesque. Si la thématique abordée me semblait prometteuse je n’ai pas réussi à être captivée par ce récit qui a manqué selon moi de densité.

Ma note :

Note : 1.5 sur 5.

Nous – Evgueni Zamiatine (1924)

Et si nous abordions les fondations du roman dystopique ?

D503 est le constructeur de l’intégrale : un vaisseau spatial. Membre de l’Etat Unitaire, il évolue dans un monde où les numéros se sont substitués aux noms. Dans cet univers où règne l’ordre et le temps millimétré, les villes sont cloisonnées. D503 évolue, comme ses semblables, en automate.

Sa rencontre fantasque et hors norme avec une certaine I-330 vient faire basculer brutalement sa conception du monde. Cette relation amoureuse passionnelle propage en lui un mot inconnu et défendu : celui de révolution.

Un des premiers romans dystopiques, Nous a eu un impact majeur sur des oeuvres incontournables de la science fiction comme 1984 de Georges Orwell. A travers cet univers, Evgueni Zamiatine vient dénoncer avec force et anticipation les dérives totalitaires du régime soviétique et promeut la liberté.

J’ai trouvé cette oeuvre difficile d’accès et assez ardu tant par la syntaxe employée que par l’univers difficile à appréhender. Le parcours de Evgueni Zamiatine permet de mieux comprendre la portée de ce livre. Fervent partisan de la révolution russe de 1905, il s’oppose au totalitarisme bolchévique et obtient de Staline l’exil en 1931. Une critique brûlante qui a laissé sa trace dans la littérature !

Ma note :

Note : 1.5 sur 5.

Citations :

« Bien entendu, cela n’a rien à voir avec les élections désordonnées et désorganisées des anciens, lorsque – il y a de quoi rire ! – on ne connaissait même pas à l’avance le résultat des élections. Construire un État sur des hasards absolument impondérables, à l’aveuglette – quelle ineptie ! »

« Mais nous, nous savons que rêver est le signe d’une maladie psychique grave« 

Pour aller plus loin :

https://www.franceculture.fr/emissions/les-nuits-de-france-culture/une-vie-une-oeuvre-evgueni-zamiatine-1ere-diffusion-30051991

La servante écarlate – Margaret Atwood (1985)

A l’aube de la sortie du roman « Les Testaments » suite du chef d’oeuvre dystopique de Margaret Atwood, je me suis plongée dans ce classique contemporain devenu incontournable.

Une chute vertigineuse de la fécondité a abouti à la mise en place d’un régime despotique, la république de Gilead. Un groupe de femmes, encore fertiles, mettent leurs corps au service de la procréation : les servantes écarlates.

L’héroïne dénommée Defred fait partie de ses servantes habillées de rouge et dont le visage est dissimulé d’une coiffe blanche.

Transférée dans une demeure aisée, son corps est voué au service exclusif du commandant et de son épouse. Enfermée dans une vie monacale, elle est privée de toute liberté. Son être tout entier est préservé et dédié exclusivement à cette grossesse tant attendue. 

Enfermée dans sa chambre chaque jour, Defred s’échappe parfois quelques instants en se plongeant dans les souvenirs de sa vie passée.

Pourtant, une porte s’entrouvre tout d’un coup et lui fait espérer les prémisses d’une nouvelle liberté…

Ce livre nous fait réfléchir à la fois sur la prise de pouvoir d’un régime despotique  privant l’homme de ses droits élémentaires mais aussi sur la place de la femme dans une société organisée en castes.

J’ai aimé la plume de Margaret Atwood, elle est tranchante et parvient à instaurer une atmosphère oppressante durant tout le roman.

Un livre choc par les parallèles glaçants qu’il construit avec nos propres sociétés contemporaines.

Ma note :

Note : 4.5 sur 5.

Citations : 

« Notre fonction est la reproduction : nous ne sommes pas des concubines, des geishas ni des courtisanes. Au contraire : tout a été fait pour nous éliminer de ces catégories. Rien en nous ne doit séduire, aucune latitude n’est autorisée pour que fleurissent des désirs secrets, nulle faveur particulière ne doit être extorquée par des cajoleries, ni de part ni d’autre ; l’amour ne doit trouver aucune prise. Nous sommes des utérus à deux pattes, un point c’est tout : vases sacrés, calices ambulants »

« L’ordinaire, disait tante Lydia, c’est ce à quoi vous êtes habitués. Ceci peut ne pas vous paraître ordinaire maintenant, mais cela le deviendra après un temps. Cela deviendra ordinaire »

« Un beau jour, on regardait cet homme, et on se disait : Je t’ai aimé, et c’était pensé au passé, et on était rempli d’étonnement, parce que c’était une chose tellement surprenante, précaire et stupide de l’avoir aimé ».

La nuit des temps – Barjavel (1968)

Envie de se détacher de son quotidien ?

Un pari amplement réussi avec « La nuit des temps » de Barjavel. Classique de la littérature où se mêle avec virtuose science fiction, roman d’amour et découverte scientifique.

Une expédition française au coeur de l’Antarctique révèle un trésor enfoui depuis plus de 900 000 ans.

Cette découverte aboutira à la création d’une expédition regroupant les plus grands scientifiques et experts de la planète dont Simon un éminent professeur. Pour percer ce mystère dissimulé au coeur de la glace, cette expédition se surpasse et doit faire face aux intérêts des grandes puissances.

Nichées au coeur de la glace, les explorateurs décèlent deux sphères où reposent une femme, Eléa, et un homme, Coban, d’une beauté irréelle. Ces humains sont le vestige d’une civilisation éteinte depuis des millénaires.

L’équipe prendra la décision historique de réveiller une des créatures endormie. Au-delà de la découverte scientifique, Simon rencontre alors Eléa.

Cette femme bouleversa à jamais son avenir. Pourtant, elle est pour toujours destinée à un autre homme, Païkan, son seul et unique amour resté enfermé des années en arrière…

Ce classique de la littérature française nous offre l’équilibre parfait entre aventure et amour tragique. Je suis restée conquise par la vision de l’humanité livrée par Barjavel, par la force des émotions qu’il véhicule tout au long de son roman mais aussi par l’attraction de ce livre.

Ma note :

Note : 4 sur 5.

Citations :

« Te montrer à l’univers, le temps d’un éclair, puis m’enfermer avec toi, seul, et te regarder pendant l’éternité »

« Son visage grave était lumineux de confiance et d’élan. Elle était pareille à la plante nouvelle, gonflée de jeunesse et de vie, qui vient de percer le sol obscur, et tend vers la lumière la confiance parfaite et tendre de sa première feuille, avec la certitude que bientôt, feuille après feuille, elle atteindra le ciel… »

Des fleurs pour Algernon – Daniel Keyes (1966)

Touchée en plein cœur.

Daniel Keyes publie en 1966 son roman « Des fleurs pour Algernon », version étayée de sa nouvelle parue en 1959 dans la revue de science-fiction « The Magazine of Fantasy et Science Fiction », auréolée du prix Hugo de la meilleure nouvelle courte.

Des fleurs pour Algernon retrace le destin de Charlie Gordon, ce jeune homme souffrant d’un retard mental qui n’a qu’un seul souhait « devenir plus intelligent ».

Deux scientifiques vont finalement s’intéresser à lui et lui proposer d’être le cobaye d’une de leurs recherches scientifiques visant à démultiplier les facultés mentales. L’expérience ayant réussi sur la souris du laboratoire, nommée Algernon, ils vont étendre leur expérimentation à l’homme.

A la suite d’une opération, Charlie va devenir progressivement bien plus intelligent que n’importe quel homme. Ses facultés ne vont cesser de s’accroitre, il va apprendre de multiples langues, assimiler des connaissances dans tous les domaines et finalement devenir un être humain aux qualités intellectuelles nettement supérieures.

Mais cette quête de savoir s’accompagne aussi d’une pleine conscience de son être. Il va revivre son enfance, ses peurs et ses traumatismes et sera confronté au sentiment amoureux…

Un roman bouleversant où le lecteur est touché en plein cœur par le personnage de Charlie Gordon. Sa fragilité, son humilité et sa profonde gentillesse sont bouleversantes. Sa découverte du monde, la pleine conscience progressive des autres et de lui-même sont particulièrement intéressantes.

Daniel Keyes, au travers de son personnage, parvient à poser un regard naif, innocent et foncièrement juste sur l’être humain. La créativité qui se dégage de la construction du roman elle-même et l’évolution du personnage dans sa pensée, dans son langage et dans son écriture sont vraiment captivantes.

L’édition augmentée publiée aux éditions « J’ai lu » contient également la nouvelle originale « Des fleurs pour Algernon ». La comparaison avec le roman permet de voir la structure initiale du texte et le travail approfondi effectué par David Keyes.

Par ailleurs, l’essai autobiographique « Algernon, Charlie et moi » expose la construction de l’œuvre « Des fleurs pour Algernon ». La découverte du travail d’écrivain et du parcours pour parvenir à un tel roman suscite chez le lecteur beaucoup d’admiration.

On y découvre notamment une très belle citation de Tourgueniev face aux critiques littéraires acerbes :

« Poète, ne t’attache pas aux acclamations du public. L’instant de la louange extrême passera, et tu entendras porter sur toi le jugement des idiots et les rires de la multitude insensible. Mais reste ferme, serein, et ne te laisse pas décourager.

Tu es un roi ; comme tel, vis dans la solitude. Va librement là où conduit l’esprit de la liberté, en améliorant sans cesse le fruit de tes pensées fécondes et ne cherche aucune récompense pour tes nobles actions.

Ton œuvre est sa propre récompense : tu es le juge suprême de ce que tu as accompli. Tu peux déterminer sa valeur avec plus de sévérité que quiconque.

Es-tu satisfait ? Si c’est le cas, tu peux te permettre d’ignorer la condamnation de la foule »

Ce roman ingénieux, créatif et touchant m’a beaucoup plu.

Ma note :

Note : 4 sur 5.

Citations : 

« L’intelligence et l’instruction qui ne sont pas tempérées par une chaleur humaine ne valent pas cher »

« Je ne prétends pas comprendre le mystère de l’amour, mais cette fois, c’était bien plus qu’un acte sexuel, que la jouissance donnée par le corps d’une femme. C’était être soulevé de terre, au-delà de la peur et des tourments, faire partie d’une entité plus vaste que moi-même. J’étais arraché de la sombre caverne de mon esprit pour fusionner avec quelqu’un d’autre… »