La place – Annie Ernaux (1983)

Et si nous parlions de transfuge ?

Avec ce récit, aux tonalités viscéralement autobiographiques, Annie Ernaux nous parle de son changement de classe sociale. Elle raconte avec des détails précis et ciselés son enfance à Yvetot en Normandie.

Dans ce court récit, elle évoque par bride sa famille et principalement son père. Modeste commerçant, il s’est extrait de sa condition ouvrière et a ouvert un café-épicerie à Yvetot. Il a vu sa fille réaliser de brillantes études et accéder à l’enseignement, une sphère qui lui paraissait inaccessible.

Froid et fragmentaire, ce livre est une mise à nu dénuée d’émotion. Annie Ernaux raconte avec une certaine hauteur et un ton qui peut se percevoir comme méprisant la classe dont elle est issue. Avec un style singulier, elle évoque un sentiment de honte vis-à-vis de son milieu lorsque, devenue écrivain et professeur, elle a trouvé sa place. Cette élévation sociale s’accompagne aussi d’un tout nouveau regard porté sur son père.

Malgré cette mise à distance et ce style factuel, Annie Ernaux arrive à faire surgir une émotion brute et terriblement intense. Avec ses mots d’une profonde pudeur, elle fait renaître toute une époque et fait revivre son père jusqu’à nous émouvoir aux larmes.

Ma note :

Note : 4 sur 5.

Citations :

« Peut-être sa plus grande fierté, ou même la justification de son existence : que j’appartienne au monde qui l’avait dédaigné »

« Je voudrais dire, écrire au sujet de mon père, sa vie, et cette distance venue à l’adolescence entre lui et moi. Une distance de classe, mais particulière, qui n’a pas de nom. Comme de l’amour séparé »

Regardez-nous danser – Leïla Slimani (2022)

Et si nous poursuivions une fresque familiale ?

Avec ce deuxième volume, Leïla Slimani nous propose de retrouver les personnages du « Pays des autres ». Nous n’avons pas oublié Mathilde, cette jeune française ayant quitté son Alsace natale par amour pour Amine.

Grâce à leur travail et leur ténacité, Amine et Mathilde ont créé une ferme prospère et florissante au Maroc. Au fil des années, ils ont façonné leur place au sein de la société en intégrant un milieu bourgeois élitiste.

Une dizaine d’années plus tard, leurs deux enfants ont grandi. Aïcha, s’est émancipée en partant faire ses études de médecine en Alsace. Resté au pays son frère Selim, s’il est performant en natation, semble se destiner à un avenir moins prometteur. L’amour va ébranler cette jeunesse et bouleverser leur avenir.

Leïla Slimani fait glisser son regard sur cette deuxième génération. Les enfants d’Amine et Mathilde ont pris leur envol et ont conquis leur liberté. Leïla Slimani ancre son récit intime sur des assises historiques puissantes entre le mouvement mai 68 ou la fragilité du pouvoir de Hassan II au Maroc.

Elle dresse le portrait d’une jeunesse en pleine mutation sexuelle et sociale et nous emporte vers des personnages féminins forts et incandescents ! Je reste profondément marquée par l’oeuvre de cette autrice incroyable.

Merci aux éditions Gallimard pour cet envoi et cette rencontre passionnante avec Leïla Slimani grâce à Babelio.

Ma note :

Note : 4 sur 5.

Citations :

« Non seulement il était amoureux d’elle, la femme qu’il connaissait, mais aussi de toutes celles qu’elle avait été et de toutes celles qu’elle deviendrait ».

« Tout aurait été tellement plus facile si les idéaux mouraient vraiment. Si le temps les faisait disparaître pour toujours et qu’ils ne trouvaient plus, en votre for intérieur, aucune attache. Mais les illusions restent là, tapies en vous, quelque part. Abîmées, flétries. Comme un remords ou une vieille blessure qui se réveille les soirs de mauvais temps »

Trois femmes puissantes – Marie Ndiaye (2009)

Et si nous parlions du récit de trois femmes ?

Marie NDiaye dresse le portrait de trois femmes confrontées au parcours d’exil, au désaveu d’un père ou à la place omniprésente d’un mari. Ces trois forces féminines feront face chacune à leurs propres maux.

Norah affronte son père après de nombreuses années. Dès son enfance, elle a été abandonnée et son père a disparu emportant avec lui son jeune frère, Sony. Asphyxiée par le poids de ce départ, elle porte sa réussite comme un talisman face à ce désamour. Des années plus tard, lors d’un séjour chez son père, elle doit lui faire face et découvre, sidérée, le sort réservé à son frère…

Fanta, professeur de littérature, n’exerce plus son métier depuis plusieurs années. Sa voix s’est éteinte sous la toute puissance de celle son mari. Dans cette nouvelle, nous écoutons uniquement la parole de Rudy, son conjoint. Celui-ci s’épanche sur sa vie et se confie au sujet de la violence pure qui ne cesse de jaillir en lui. Cette voix masculine nous permet-elle de mieux comprendre Fanta ?

Khady, vient de perdre son mari. Devenue veuve, elle est rejetée par sa belle famille et doit quitter le pays. Lors de ce parcours d’exil elle fait face à tous les obstacles et croise sur sa route Lamine. Pourra-t-elle se fier à cet homme qui lui tend la main ?

J’ai trouvé ces trois nouvelles inégales et j’ai eu une nette préférence pour la dernière. Malgré la maîtrise de Marie Ndiaye, je n’ai pas été emportée par l’intégralité de cette oeuvre. Malgré tout, j’ai été touchée par la force féminine qui émane du dernière texte.

Ma note :

Note : 2 sur 5.

Citation :

« Elle poussa doucement la porte et l’odeur tiède des cheveux d’enfant fit remonter d’un coup l’amour qui l’avait désertée. Puis cela reflua et s’en alla, elle se sentit de nouveau distraite, endurcie, inaccessible, comme occupée par quelque chose qui ne voulait laisser la place à rien d’autre, qui avait pris, tranquillement, sans justification, possession d’elle »

Les sept mariages d’Edgar et Ludmilla – Jean-Christophe Rufin (2019)

Et si nous faisions la connaissance d’un couple fantasque ?

Cette oeuvre dresse le portrait de deux êtres hors du commun reliés par leurs séparations et retrouvailles éternelles.

Lors de son voyage en Ukraine en 1958, Edgar croise le regard de Ludmilla. Foudroyé par l’intensité de cette rencontre sans qu’un mot ne soit échangé, Edgar retourne en France avec une seule idée en tête : retrouver Ludmilla. Il organise un nouveau voyage afin de la conquérir en usant de son charme et de sa désinvolture.

S’il s’est érigé en sauveur, leur relation va évoluer. Sans se connaître ils débutent une vie commune fragile en France. Ludmilla ne parle pas un mot de français mais s’acclimate rapidement à cette nouvelle vie. Leur destinée atypique va les séparer et les réunir dans un ballet amoureux aussi sensuel que chaotique.

Avec une écriture fine et fluide, Jean-Christophe Rufin révèle cet amoureux tumultueux et nous emporte facilement auprès de ce couple flamboyant. Si je n’ai pas été totalement transportée, je garde un bon souvenir de ce couple étincelant.

Ma note :

Note : 3 sur 5.

Citations :

« Ce n’était pas un baiser fougueux, impudique, comme en échangent de jeunes épousés impatients de se découvrir. Ce n’était pas non plus le baiser convenu d’êtres calmés dans leurs ardeurs et détachés de la chair. C’était une longue étreinte, déchirante de tendresse et de douleur, le symbole pour tous ceux qui en étaient les témoins, de ce que la condition humaine recèle de plus tragique : l’amour à l’épreuve de l’ultime séparation. L’éternité du sentiment et la finitude des corps »

« Ils s’étreignirent, envahis l’un et l’autre par la sensation d’être à nouveau complet dans le monde »

La plus secrète mémoire des hommes – Mohamed Mbougar Sarr (2021)

Et si nous révélions notre amour pour la littérature ?

Un jeune auteur sénégalais, Diégane Latyr Faye découvre dans un manuel de littérature un livre singulier « Le labyrinthe de l’inhumain ».

Publié en 1938, ce livre écrit par T.C Elimane, auteur lui aussi sénégalais, a bouleversé le milieu littéraire. Suite aux accusations de plagiat et aux critiques acerbes, la maison d’édition a fermé et presque tous les exemplaires de cet oeuvre ont été détruits. Depuis ce scandale littéraire, T. C Elimane a disparu.

Grâce à l’autrice Siga D, Diégane Latyr Faye parvient à mettre la main sur un des exemplaires de ce livre. Transcendé par cette lecture, il décide de partir sur les traces de cet auteur oublié.

Sa quête périlleuse va le mener vers plusieurs continents entre magie noire, littérature et saga familiale. Il découvre au cours de son enquête un écrivain aussi sombre que lumineux. Cette quête littéraire n’est que le prétexte pour nous transporter dans des milieux vastes et pourtant enchevêtrés les uns aux autres.

Porté par une grande érudition, ce roman foisonnant nous emporte vers des chemins inattendus. Même si la confusion règne parfois durant la lecture, ce roman déroutant n’a de cesse de nous surprendre !

Ma note :

Note : 4 sur 5.

Citations :

« Le hasard n’est qu’un destin qu’on ignore, un destin écrit à l’encre invisible ».

« La littérature m’apparut sous les traits d’une femme à la beauté terrifiante. Je lui dis dans un bégaiement que je la cherchais. Elle rit avec cruauté et dit qu’elle n’appartenait à personne ».

Debout les morts – Fred Vargas (1995)

Et si nous parlions d’un roman policier ?

Quatre hommes partagent la même maison. Chacun à leur étage, ils forment une famille atypique. Marc étudie le Moyen-âge, Mathias la préhistoire et Lucien la première guerre mondiale. S’ils ont en commun leurs parcours d’historiens, ils se distinguent par leurs personnalités foncièrement différentes. Pour compléter ce trio, l’oncle de Marc, Armand Vandoosler, un ancien policier cohabite avec eux dans cette vieille bâtisse délabrée. Cette vie en communauté, initiée par Marc, est avant tout la conséquence de leurs problèmes financiers. Marginalisés et sans argent, ils ont décidé de vivre ensemble.

Leur voisine, Sophia Simeonidis va les rassembler. Un matin, elle découvre un cèdre planté dans son jardin. Cherchant de l’aide afin de le déraciner, elle frappe à la porte de cette grande demeure. Quand Sophia Siméonidis disparaît subitement, le quatuor se retrouve entraîné dans une enquête policière.

Ce policier nous transporte dans des investigations sinueuses. Tout au long du roman, le lecteur peut s’adonner à ses propres élucubrations pour accompagner les protagonistes à la recherche de la vérité ! Si j’ai trouvé les personnages assez caricaturaux, ce roman reste un bon moment de divertissement !

Ma note :

Note : 2 sur 5.

Citation :

« La quête des paroxysmes oblige à se confronter à l’essentiel qui est ordinairement caché »

Nadja – André Breton (1928)

Et si nous parlions de surréalisme ?

André Breton évoque sa passion pour Nadja dans ce récit hybride mêlant essai philosophique, roman ou récit autobiographique.

En 1926, André Breton rencontre la fantasque et fascinante Nadja à Paris, ce nom envoûtant signifie « le commencement du mot espérance ». Il échange avec elle un baiser « dans lequel il y a une menace ». Captivé par sa liberté, il multiplie les rencontres avec cet être unique aux quatre coins de Paris.

Sous les traits de Nadja, André Breton prône la liberté et l’émancipation. Il laisse le fil de sa pensée et de ses réflexions s’écouler avec une grande fluidité dans ce texte. Au-delà de cette passion amoureuse, il dévoile sa critique de la psychanalyse, sa réflexion sur la folie et ponctue cette oeuvre de références littéraires et artistiques.

Ce texte surréaliste mêle avec harmonie dessins et photographies pour une immersion dans Paris et dans les interstices de la pensée d’André Breton. Ce texte hors norme, devenu intemporel, est traversé par des mots d’une fulgurante beauté.

Ma note :

Note : 5 sur 5.

Citations :

« J’ai pris, du premier au dernier jour, Nadja pour un génie libre, quelque chose comme un de ces esprits de l’air que certaines pratiques de magie permettent momentanément de s’attacher, mais qu’il ne saurait être question de se soumettre ».

« Je savais tout, j’ai tant cherché à lire dans mes ruisseaux de larmes »

« Seul l’amour au sens où je l’entends – mais alors le mystérieux, l’improbable, l’unique, le confondant et l’indubitable amour – tel enfin qu’il ne peut être qu’à toute épreuve, eût pu permettre ici l’accomplissement du miracle ».

« La beauté sera convulsive ou ne sera pas ».

La Conquête de Plassans – Emile Zola (1874)

Et si nous plongions dans un des tomes méconnus de la série des Rougon-Macquart ?

Ce quatrième volume du cycle des Rougon-Macquart, nous transporte à nouveau à Plassans, petite ville du Sud de la France, imaginée par Emile Zola.

A Plassans, Marthe et François Mouret mènent une vie calme et harmonieuse avec leurs trois enfants. L’abbé Faugas s’installe avec sa mère à leur domicile. Les nouveaux locataires à la fois sévères et sombres viennent bouleverser l’équilibre familiale.

Fascinée par l’abbé, Marthe tisse une relation avec lui mélant dévotion religieuse et passion dévorante. Installés dans une chambre à l’étage, ils semblent tout d’abord invisibles mais leur austérité ensevelit peu à peu toute la famille. Entre ambition, pouvoir et manipulation, l’abbé Faugas parvient peu à peu à conquérir la ville.

Un roman riche avec une intrigue travaillée qui mêle avec justesse lutte politique et religieuse. Je suis restée transportée par cette oeuvre qui parvient avec brio à mélanger le feu des passions et l’austérité de la soutane. Un roman méconnu de la série que je vous invite vivement à découvrir !

Ma note :

Note : 5 sur 5.

Citations :

« Il semblait qu’au fond de l’oeil, d’un gris morne d’ordinaire, une flamme passât brusquement, comme ces lampes qu’on promène derrière les façades endormies des maisons ».

« Marthe, plus mince, les joues rosées, les yeux superbes, ardents et noirs, eut alors pendant quelques mois une beauté singulière. La face rayonnait ; une dépense extraordinaire de vie sortait de tout son être, l’enveloppait d’une vibration chaude. Il semblait que sa jeunesse oubliée brûlât en elle, à quarante ans, avec une splendeur d’incendie »

Splendeurs et misères des courtisanes – Honoré de Balzac (1838)

Et si nous plongions dans une œuvre dense de Balzac ?

Partie intégrante de la comédie humaine, dans Splendeurs et misères des courtisanes nous rencontrons à nouveau les protagonistes des « Illusions Perdues » ou du « Père Goriot ».

De retour à Paris, Lucien de Rubempré est bien décidé à poursuivre son ascension. Sous la protection de Carlos Herrera, un ecclésiastique au passé trouble, il use de tous les stratagèmes pour faire sa place dans la haute société. Avec l’appui de son mentor, il se rapproche de Clotilde de Grandlieu. Leur union pourrait lui permettre d’accéder à une position tant convoitée.

Lucien de Rubempré s’est épris d’Esther Gobseck, une ancienne courtisane. Leur passion pure et charnelle doit rester secrète afin de ne pas entraver son ascension sociale. Carlos Herrera contribue à cette dissimulation et installe Esther dans une demeure sous la protection et la surveillance de deux domestiques, Europe et Asie. Par amour, Esther sera bâillonnée et emprisonnée dans cette maison et devra renouer avec son passé de courtisane…

Cette lecture aussi dense qu’exigeante mélange lutte de pouvoir, passion amoureuse et ambition personnelle. Les protagonistes s’entrecroisent et ce volume pourrait finalement contenir plusieurs oeuvres. Je ne vous invite pas à débuter votre découverte de la comédie humaine avec ce volume présentant des longueurs. Cependant, je ne peux que saluer l’ampleur du travail d’Honoré de Balzac.

Ma note :

Note : 3.5 sur 5.

Citations :

« Quiconque a trempé dans le journalisme, ou y trempe encore, est dans la nécessité cruelle de saluer les hommes qu’il méprise, de sourire à son meilleur ennemi, de pactiser avec les plus fétides bassesses, de se salir les doigts en voulant payer ses agresseurs avec leur monnaie. On s’habitue à voir faire le mal, à le laisser passer ; on commence par l’approuver, on finit par le commettre. À la longue, l’âme, sans cesse maculée par de honteuses et continuelles transactions, s’amoindrit, le ressort des pensées nobles se rouille, les gonds de la banalité s’usent et tournent d’eux-mêmes »

« L’amour sans espoir quand il inspire la vie, quand il y met le principe des dévouements, quand il ennoblit tous les actes par la pensée d’arriver à une perfection idéale »

Léviathan – Julien Green (1929)

Et si nous parlions de la force des démons intérieurs ?

Paul Guéret vient de s’installer avec sa femme en plein coeur d’une ville de province. Rien ne semble entraver la monotonie des lieux, seul un restaurant tenu par une femme de tête, Mme Londe, offre un peu d’animation dans ce paysage déserté. Mme Londe se consume sous une curiosité insatiable et cherche à connaître tous les travers des petits bourgeois de la ville. Paul Guéret franchit la porte de son restaurant et fait face à son regard inquisiteur.

Grâce aux leçons qu’il dispense au fils d’un couple de bourgeois, Paul Guéret gagne un peu d’argent pour faire survivre son ménage. Depuis son arrivée dans le village, il voue, en secret, une passion dévorante et obsédante pour une jeune blanchisseuse, Angèle. Ce désir impérieux le conduira jusqu’au crime…

Avec son écriture magistrale, Julien Green dissèque ses personnages emportés par leurs démons intérieurs. Un roman noir où Julien Green dresse des portraits psychologiques aussi sordides et sombres que le paysage de campagne où ils évoluent. Je ne peux que vous recommander ce classique de la littérature malheureusement méconnu !

Ma note :

Note : 5 sur 5.

Citations :

« Demain, s’il la revoyait, il aurait peine à la reconnaître, au premier instant, et, peu à peu, elle reprendrait à ses yeux son aspect véritable, et c’était à ces caprices du souvenir, à ce jeu d’un visage se montrant et disparaissant tour à tour que, par une longue habitude de son coeur, il jugeait de la profondeur de son désir ».

« Bien des gens apprenaient le bonheur comme on apprend un métier et se résignaient joyeusement à accepter le médiocre pour éviter le pire »