Baumgartner – Paul Auster (2024)

Et si nous apprenions à survivre à la perte ?

Professeur de philosophie Sy Baumgartner a perdu sa femme Anna, il y a neuf ans. La présence de l’être aimée plane toujours dans leur appartement. S’il a perdu sa moitié, il continue à avancer imperceptiblement et ne cesse de la faire revivre.

Désormais âgé de soixante-dix ans, il plonge dans ses souvenirs et sa solitude pour révéler l’immense coup de foudre qu’il a éprouvé pour Anna. Traductrice, poétesse, il l’a profondément admirée et a partagé avec elle un mariage heureux. Il revient sur cet amour qui a marqué son existence. Parviendra-t-il à survivre à cette perte ?

D’une grande sensibilité, ce portrait de Sy Baumgartner fait écho à la vie de l’auteur et nous renvoie à nos propres rapports au deuil et à la vieillesse. Dernière oeuvre lumineuse de Paul Auster, ce récit tendre et mélancolique sur notre rapport à la mémoire résonne aujourd’hui encore davantage.

Ma note

Note : 5 sur 5.

Citations

« Comment cela se produit, elle n’en a pas la moindre idée, pas plus qu’elle ne comprend comment elle peut lui parler en ce moment, mais la seule chose qu’elle sait, c’est que vivants et morts sont reliés, et qu’une relation profonde comme la leur peut se poursuivre même dans la mort, car si l’un meurt avant l’autre, le survivant peut garder l’autre en vie dans une sorte de limbe temporaire entre la vie et la non-vie, mais quand le vivant meurt aussi c’est la fin, et la conscience du mort s’éteint à jamais ».

« Une personne n’a pas de vie sans relation à d’autres, et si on a la chance d’avoir une relation profonde avec une autre personne, si profonde que l’autre est aussi important à tes yeux que tu ne l’es à toi-même, alors la vie devient plus que possible, elle devient bonne ».

Washington Square – Henry James (1880)

Et si nous parlions d’Henry James ?

Dans ce texte, Henry James dresse le portrait d’une famille au coeur de la haute société.

Dans tout New-York, la réputation du Docteur Sloper est indéniable. Brillant médecin, il a étoffé sa clientèle et a acquis une grande fortune. Il jette un regard intraitable sur sa fille Catherine. Elle ne correspond pas à ses attentes. Il la juge sans grande beauté, inconsistance et peu intelligente.

Lors d’un bal, l’effacée Catherine rencontre Morris Townsend, un beau jeune homme aux charmes indéniables, à l’esprit vif et au verbe haut. Dès leur premier rencontre, Morris semble épris de Catherine et commence à lui faire une cour ardente sous l’oeil vigilant de son père. Compte tenu du peu de qualités qu’il attribue à sa fille, le Docteur Sloper se méfie de cet homme qui perçoit vite comme un simple coureur de dot. Ce prétendant assidu qui a littéralement fait chavirer le coeur de Catherine est-il sincère ?

Si le fil narratif reste convenu, la psychologie des personnages est travaillée durant tout le roman et j’ai aimé le cynisme et le ton de cette oeuvre ! Cette lecture reste une belle découverte de la plume élégante d’Henry James.

Ma note

Note : 3.5 sur 5.

Citation

« Elle était romanesque, sentimentale, et folle de petits secrets et de mystères – passion bien innocente, car jusque-là ses secrets lui avaient servi à peu près autant que des bulles de savon. Elle ne disait pas non plus toujours la vérité ; mais cela non plus n’avait pas grande importance, car elle n’avait jamais eu rien à cacher. Elle aurait rêvé d’avoir un amoureux et de correspondre avec lui sous un faux nom par le canal d’une poste privée ; je m’empresse de dire que son imagination ne s’aventurait jamais vers des réalités plus précises »

Brisure à senestre – Vladimir Nabokov (1947)

Et si nous parlions d’un philosophe soumis à la toute puissance d’un régime ?

Eminent professeur de philosophie, Adam Krug est un homme reconnu. A la mort de sa femme, il reste seul avec son jeune fils, David. Face à un état tyrannique, il refuse d’obéir au nouveau régime incarné par Paduk, un de ses anciens camarade de classe. La doctrine de cet état appelée ekwilisme met en exergue la normalité des êtres humains et rejette tout mouvement individuel.

Face à l’opposition du professeur, les pressions du régime se multiplient. Ses amis sont arrêtés et l’étau se resserre autour de lui. Adam pourra-t-il être épargné ou devra-t-il vendre son âme au tyran ?

Ce roman dystopique n’est pas sans rappeler le régime bolchévique ou fasciste de l’époque. J’ai apprécié la force de la plume de Nabokov, son cynisme et l’absurdité de son propos. L’angoisse monte tout au long du roman jusqu’à la scène finale où l’absurdité de l’horreur tend à devenir une sinistre farce. Si j’ai trouvé ce récit, entrecoupé d’anagrammes et de mots d’esprits, complexe, il m’a cependant beaucoup marquée.

Ma note :

Note : 3.5 sur 5.

Citation :

« Il laissa monter les larmes, non sans éprouver ce léger plaisir que l’on ressent à s’abandonner à cette pression tiède ; mais l’impression de soulagement fut de courte durée, car dès qu’il les laissa couler elles se firent si abondantes, si atrocement brûlantes que sa vue s’en trouva brouillée et sa respiration altérée ».

Un amour noir – Joyce Carol Oates (1993)

Et si nous découvrions un amour interdit ?

Carla est une femme sauvage, fille de paysans pauvres, ses cheveux roux et son animalité troublent les habitants de la petite vallée de Chautauqua aux Etats-Unis.

Malgré sa différence, elle s’est résignée à un mariage sans amour. De cette union est née plusieurs enfants. Elle ne s’est jamais véritablement occupée d’eux et semble passer à côté de sa vie. Pourtant, son esprit indomptable ne demande qu’à éclore. Quand elle croise le regard d’un homme noir son coeur bascule. Jusqu’où cette passion interdite va-t-elle l’emporter ?

Dans ce court roman, Joyce Carol Oates dresse le portrait d’une femme insoumise. Un roman sombre qui interroge sur l’intolérance, les conventions et le racisme dans la société américaine. Si ce récit n’a pas la force romanesque des autres ouvrages de Joyce Carol Oates, l’intensité dramatique est bien présente durant toute la lecture.

Ma note :

Note : 3 sur 5.

Citations :

« Je n’ai pas choisi la couleur de ma peau, comment peut-on me la reprocher ? »

« Elle trouvait sa consolation dans la vie impersonnelle qui coulait à travers elle, pareille à un cours d’eau souterrain, invisible et secret ; la vie qui faisait naître les enfants, et dévorait goulûment toute vie organique, et qui animait le vent dans les arbres et faisait battre son cœur malgré elle sans qu’elle puisse intervenir. Elle avait foi en cette vie qui n’avait pas de nom et elle pensa avec une conviction soudaine et une certaine irritation : Non je ne me noie pas ».

Scènes et portraits – William Carlos Williams (2023)

Et si nous parlions d’un recueil de poèmes nerveux ?

« Scènes et portraits » rassemble la poésie spontanée et impérieuse de William Carlos Williams. Médecin et poète, il profite de quelques minutes de libre entre deux patients pour se jeter sur sa machine à écrire.

Véritable jaillissement littéraire, ses écrits vous emportent avec un rythme nerveux où le réel de la vie se mêle à la nature. Gynécologue et pédiatre, il parvient à retranscrire avec finesse les rapports entre une mère et son enfant. Il révèle le désespoir de ses patients, la misère et les petits délices du quotidien. Avec un style brut, les pages se succèdent comme une plongée en apnée dans une littérature où l‘urgence de la mise en mots est omniprésente.

J’ai été conquise par ce bel objet littéraire qui nous ouvre les portes d’un poète méconnu.

Merci aux éditions Seghers pour cet envoi.

Ma note :

Note : 3.5 sur 5.

Citations :

« Elle est assise
des larmes sur

sa joue
la joue dans

sa main
l’enfant

sur ses genoux
le nez

collé
au carreau »

« J’ai mangé

les prunes

qui étaient dans le frigo

et que

tu avais sans doute

gardées

pour déjeuner

Pardonne-moi

elles étaient délicieuses

si sucrées

si froides »

Certaines n’avaient jamais vu la mer – Julie Otsuka (2011)

Et si nous embarquions pour l’Amérique ?

Avant la Seconde Guerre mondiale, de nombreuses japonaises acceptent de quitter leur pays natal pour l’Amérique. Quand elles embarquent sur le bateau et commencent une lente et éprouvante traversée, elles sont déjà mariées à des époux qui semblent avoir tout réussi.

Lors de leur arrivée aux Etats-Unis, elles doivent cependant faire face à la réalité de leur condition. L’humiliation et la misère deviennent leur quotidien. Elles doivent s’acclimater à des hommes qu’elles n’ont jamais vues. Certains sont doux et conciliants alors que d’autres seront violents et impitoyables. Entre désillusion et déracinement, elles plongent parfois dans un désespoir abyssale. Lorsque la Seconde Guerre mondiale fait rage, la vie de ses exilées va prendre un nouveau tournant.

Durant toute la narration Julie Otsuka utilise le « nous » afin de créer une véritable communauté entre ces femmes et une puissance particulière à son récit. Si j’entends la force de la narration, cette distance ne m’a pas permis de m’attacher pleinement aux personnages. Si je n’ai pas été totalement submergée ou émue par ce roman, j’ai apprécié la description pudique d’une période oubliée de l’histoire.

Ma note :

Note : 2 sur 5.

Citation :

« Sur le bateau nous étions presque toutes vierges » : « nous », ces femmes japonaises – « certaines n’avaient que quatorze ans et c’étaient encore des petites filles » – qui traversent le Pacifique vers la Californie où les attendent leurs « fiancés », des hommes qu’elles n’ont jamais rencontrés. On est au tout début du XXe siècle. Masayo, Mitsuyo, Nobuye, Kiyono (et tant d’autres rassemblées dans ce « nous ») rêvent de vies nouvelles, d’amour, les photos envoyées au Japon ont fait naître l’espoir »

Invisible – Paul Auster (2009)

Et si nous voyagions de New-York à Paris en compagnie de Paul Auster ?

Lors de ses études à Colombia, Adam Walker croise un énigmatique professeur, Rudoff Born. Si Adam aimerait percer le mystère de cet homme, il s’inquiète de ses opinions provocantes. La femme qui accompagne Rudoff fascine littéralement le jeune homme. Sulfureuse, elle jette un regard plein d’intérêt pour cet étudiant qui aspire à devenir poète.

Attiré par cette femme, il se rapproche du couple jusqu’à envisager des projets d’avenir. Être naïf et tourmenté, Adam va être envouté par l’aura nocive de Rudoff. Un sombre drame va lier les deux hommes et faire basculer leurs destins.

Maîtrisant la trame narrative avec virtuose, Paul Auster dresse les portraits de personnages complexes. Captivée, je me suis plongée dans ce roman qui nous emporte dans des zones d’ombre parfois malsaines et dérangeantes mais où la psychologie des personnages est finement travaillée.

Ma note :

Note : 3 sur 5.

Citations :

« La distance entre la pensée et les actes peut être immense, un gouffre aussi vaste que le monde lui-même »

« Elle est de nature plus libre que toi, plus heureuse que toi et, chaque fois que tu es en sa compagnie, le monde te paraît plus lumineux et plus accueillant, un endroit où ton ego maussade et introverti peut presque commencer à se sentir chez lui »

« Il se demande si les mots ne constituent pas un élément essentiel de la relation sexuelle, si la parole n’est pas finalement une forme plus subtil du toucher, si les images qui nous dansent en tête n’ont pas tout autant d’importance que les corps que nous tenons dans nos bras » 

Les raisins de la colère – John Steinbeck (1939)

Et si nous parlions d’un chef-oeuvre humaniste ?

Avec les raisons de la colère, John Steinbeck nous transporte dans une épopée familiale émouvante et criante d’humanité.

Tout juste sorti de prison, Joah rejoint sa famille sur les modestes terres de l’Oklahoma. A son arrivée, il découvre que ses proches s’apprêtent à partir. Face à l’industrialisation croissante de l’Amérique, ils doivent quitter leurs terres agricoles pour l’ouest des Etats-Unis. Ils rêvent de la Californie, de terres libres et ensoleillées où l’ensemble de la famille pourra cultiver des fruits, trouver du travail et de la nourriture.

Pourtant cette traversée américaine sera rude et semée d’embuches. Si la Californie a un parfum d’Eldorado, la route est longue et les promesses de l’ouest incertaines. De route en route, la famille Joad rencontre d’autres fermiers contraints également à l’exil. Face à des conditions atroces, les gestes d’entraide et l’espoir demeurent. Cependant confrontés à l’injustice de leurs conditions la colère gronde. Jusqu’où les conduira ce périple ?

Monument de la littérature américaine, ce roman retraçant la Grande Dépression qui a frappé les Etats-Unis est à mettre entre toutes les mains. Dans un style brut et réaliste, John Steinbeck parvient à nous plonger totalement au coeur de cette famille. J’ai partagé leur voyage et je suis profondément marquée par ce témoignage social bouleversant. Un coup de coeur que je ne peux que vous recommander.

Ma note :

Note : 5 sur 5.

Coup de ❤

Citations :

« En route pour la Californie, ou ailleurs… Chacun de nous, tambour-major à la tête d’un régiment de peines, de douleurs, marchant le coeur plein d’amertume. Et un jour, toutes les armées des coeurs amers marcheront toutes dans le même sens. Et elles iront toutes ensemble et répandront une terreur mortelle ».

« Si vous qui possédez les choses dont les autres manquent, si vous pouviez comprendre cela, vous pourriez peut-être échapper à votre destin. Si vous pouviez séparer les causes des effets, si vous pouviez savoir que Paine, Marx, Jefferson, Lénine furent des effets, non des causes, vous pourriez survivre. Mais cela vous ne pouvez pas le savoir. Car le fait de posséder vous congèle pour toujours en « Je » et vous sépare toujours du « Nous » »

J’ai épousé un communiste – Philip Roth (1998)

Et si nous comprenions une Amérique paranoïaque avec Philip Roth ?

Ira Ringold a créé un double médiatique, Iron Rinn. Vedette de la radio, il évolue dans un milieu privilégié et a épousé Eve Frame, une célèbre actrice du muet. Derrière ce rêve américain se cache un homme aux convictions politiques puissantes qui doit dissimuler son appartenance au parti communiste. Sa célébrité le protège des persécutions qui sévissent dans toute l’Amérique au cours des années 50.

Nathan Zuckerman, double littéraire de Roth, rencontre Ira. Fasciné par sa personnalité forte et ses valeurs, Nathan se rapproche d’Ira et devient son disciple. Face à une chasse aux sorcières de plus en plus omniprésente, les trahisons se multiplient et l’appartenance politique d’Ira menace d’être révélée. Jusqu’où cette politique américaine parviendra-t-elle à briser des destinées ?

Un roman érudit d’une grande intensité qui nous dévoile avec une grande acuité les vicissitudes du maccarthysme et toute la complexité et la noirceur d’une Amérique plongée dans la Guerre Froide. Je ne peux que vous recommander ce roman qui confirme la place fondamentale de Philip Roth dans la littérature américaine.

Ma note :

Note : 3.5 sur 5.

Citations :

« Pendant longtemps, la vie brûle, tout est tellement intense, et puis, peu à peu, la fièvre tombe, on refroidit, et puis viennent les cendres ».

« Quand on dévore des yeux la vitrine capitaliste, qu’on en veut toujours plus, qu’on a les doigts de plus en plus crochus, qu’on est de plus en plus avide, alors on acquiert, on possède, on accumule ; c’est la fin des convictions, et le commencement de la peur ».

Moins que zéro – Bret Easton Ellis (1985)

Et si nous contemplions une décadence californienne ?

Issu d’une famille aisée, Clay revient à Los Angeles auprès de ses proches pour les fêtes de fin d’année. Il est parti depuis quelques mois pour faire ses études supérieures dans le New-Hampshire. La distance avec sa famille ne semble pas l’affecter tant Clay est désabusé.

De retour dans sa ville natale, il revoit sa petite amie Blair et sa bande de copains. Pourtant ces retrouvailles ne semblent pas l’émouvoir et il essaye de noyer sa solitude dans l’alcool, la drogue ou les fêtes. Ses parents accaparés par leurs carrières sont bien inexistants et le laisse dans un luxe peuplé des pires excès. Malgré ces abus il n’arrive pas à combler le vide de son existence. Jusqu’où cette décadence le conduira-t-il ?

Sous les traits de Clay, c’est toute une jeunesse américaine dorée et désabusée que nous contemplons. Si j’ai aimé la plume acérée et cynique de Bret Easton Ellis, je n’ai pas retrouvé le génie d’un Bukowski ou d’un Fante. J’ai globalement apprécié cette lecture malgré une légère lassitude.

Ma note :

Note : 2.5 sur 5.

Citations :

« La piste de danse est couverte de gens, presque tous sont jeunes, presque tous s’ennuient, presque tous essaient de montrer qu’ils s’amusent ».

« On peut disparaitre ici sans même s’en apercevoir ».