Regardez-nous danser – Leïla Slimani (2022)

Et si nous poursuivions une fresque familiale ?

Avec ce deuxième volume, Leïla Slimani nous propose de retrouver les personnages du « Pays des autres ». Nous n’avons pas oublié Mathilde, cette jeune française ayant quitté son Alsace natale par amour pour Amine.

Grâce à leur travail et leur ténacité, Amine et Mathilde ont créé une ferme prospère et florissante au Maroc. Au fil des années, ils ont façonné leur place au sein de la société en intégrant un milieu bourgeois élitiste.

Une dizaine d’années plus tard, leurs deux enfants ont grandi. Aïcha, s’est émancipée en partant faire ses études de médecine en Alsace. Resté au pays son frère Selim, s’il est performant en natation, semble se destiner à un avenir moins prometteur. L’amour va ébranler cette jeunesse et bouleverser leur avenir.

Leïla Slimani fait glisser son regard sur cette deuxième génération. Les enfants d’Amine et Mathilde ont pris leur envol et ont conquis leur liberté. Leïla Slimani ancre son récit intime sur des assises historiques puissantes entre le mouvement mai 68 ou la fragilité du pouvoir de Hassan II au Maroc.

Elle dresse le portrait d’une jeunesse en pleine mutation sexuelle et sociale et nous emporte vers des personnages féminins forts et incandescents ! Je reste profondément marquée par l’oeuvre de cette autrice incroyable.

Merci aux éditions Gallimard pour cet envoi et cette rencontre passionnante avec Leïla Slimani grâce à Babelio.

Ma note :

Note : 4 sur 5.

Citations :

« Non seulement il était amoureux d’elle, la femme qu’il connaissait, mais aussi de toutes celles qu’elle avait été et de toutes celles qu’elle deviendrait ».

« Tout aurait été tellement plus facile si les idéaux mouraient vraiment. Si le temps les faisait disparaître pour toujours et qu’ils ne trouvaient plus, en votre for intérieur, aucune attache. Mais les illusions restent là, tapies en vous, quelque part. Abîmées, flétries. Comme un remords ou une vieille blessure qui se réveille les soirs de mauvais temps »

Le pays des autres – Leïla Slimani (2020)

Et si nous parlions d’une fresque familiale flamboyante ?

Mathilde a fait le choix de tout quitter par amour. Alsacienne, elle part en 1944 au Maroc pour s’installer avec Amine. D’origine marocaine, Amine a combattu aux côtés de l’armée française pendant la guerre et rentre dans son pays pour cultiver ses terres.

A son arrivée au Maroc, le racisme ambiant, la pauvreté et la place de la femme dans la société rendent l’intégration de Mathilde difficile. Le souffle d’indépendance qui plane dans le pays complique encore davantage leur union. Bien loin de ses espérances, Mathilde tente de s’acclimater à sa nouvelle vie dans une ferme isolée.

Amine ne cesse d’osciller entre sa tendresse pour Mathilde et le poids de son éducation rigide aux traditions parfois archaïques. Il a toujours imaginé la femme comme un être mutique presque invisible. Le tempérament fantasque et sensible de Mathilde le pèse et l’exotisme de leur début de relation laisse place à leurs différences.

Mathilde arrivera-t-elle à trouver sa place dans ce pays en pleine mutation ?

Ce récit poignant dresse le portrait de cette famille multiculturelle. La psychologie et les contrastes des personnages sont étayés avec finesse par Leïla Slimani.

Une fresque familiale belle, puissante et criante de vérité. Leïla Slimani signe, à nouveau, une grande réussite ! Le premier tome d’une trilogie dont j’ai hâte de découvrir le suite…

Ma note :

Note : 4 sur 5.

Citations :

« Cette vie sublime, elle aurait voulu l’observer de loin, être invisible. Sa haute taille, sa blancheur, son statut d’étrangère la maintenaient à l’écart du coeur des choses, de ce silence qui fait qu’on se sait chez soi »

« Elle marcha vers la table comme vers l’échafaud et elle écarquilla les yeux devant Amine pour faire refluer les larmes et pour lui faire croire qu’elle était heureuse »

Au plaisir de Dieu – Jean d’Ormesson (1974)

Et si nous évoquions un portrait de famille ?

Accompagnée par la voix douce et si mélodieuse de Jean d’Ormesson, je me suis délectée de cette fresque familiale.

Au coeur du château de Plessis-lez-Vaudreuil, domaine immense situé dans la Haute-Sarthe, une des plus vieilles familles françaises est confrontée aux ravages du temps.

Entourée de leur tradition, cette famille aristocrate a bien des difficultés à s’acclimater aux évolutions du XXème siècle. Le grand-père, un monarchiste plein de dignité, vit dans un passé où les moeurs, l’église, la tradition et l’importance du nom ont toute leur place.

Il perçoit la famille comme figée au temps de la royauté. La position familiale se crée par les terres et par le nom. L’argent ou la culture sont bannis de cette perception ancestrale.

Pourtant, l’histoire franchit les portes du château et oblige l’ensemble des membres de la famille à évoluer. Un mariage d’amour intègre la branche des Rémy-Michault à la famille. Le grand-père perçoit d’un mauvais oeil cette alliance. Pour lui, cette famille a fait fortune sur la mort de Louis XVI et se confronte avec ses valeurs. Sous le regard du grand-père, la tante Gabrielle née Rémy-Michault, intelligente et curieuse, vient révolutionner la vie du château. Elle amorce le premier bouleversement dans les traditions.

Puis, les générations successives vont venir se confronter par leurs idées contradictoires sur la politique ou sur les moeurs. Les fracas des guerres mondiales viennent également ébranler cette famille traditionnelle. Plus encore, la mort et le triomphe du temps portent le coup fatal à cette lignée.

Jean d’Ormesson dresse un portrait tendre et lucide de sa propre famille mais surtout met en perspective son évolution face à la marche inéluctable du temps.

Au-delà de l’hommage émouvant à son grand-père et à sa famille, Jean d’Ormesson se dresse en témoin d’une époque désormais effondrée. Durant ce long roman, il oscille avec brio sur un fil tendu entre le passé et l’avenir. Sa plume et la fulgurance de la portée de certains passages m’ont éblouie.

Avec ses mots, Jean d’Ormesson a réussi avec brio à emprisonner dans le temps cette vie de château et de tradition tant aimée par son grand-père.

Ma note :

Note : 5 sur 5.

Citations :

« L’âge d’or était derrière nous, avec toute cette douceur de vivre dont nous traînions dans nos légendes les échos assourdis et que les plus jeunes d’entre nous n’avaient jamais connue ».

« Le passé était une grande forêt très belle où se croisaient à perte de vue les rameaux de ces arbres qui descendaient jusqu’à nous »

« C’est que le monde s’adonnait sans répit, avec une sorte de gourmandise et d’affection, à un crime impardonnable : nous nous étions arrêtés, et il continuait ».

« La vie n’est jamais rien d’autre qu’une longue retraite devant la mort ».

A l’est d’Eden – John Steinbeck (1952)

« Qu’as-tu fait ? La voix du sang de ton frère crie de la terre jusqu’à moi. 

Maintenant, tu seras maudit de la terre qui a ouvert sa bouche pour recevoir de ta main le sang de ton frère (…)

Caïn se retira de devant l’Éternel, et séjourna dans le pays de Nôd, à l’est d’Éden »

 (Genèse 4, 1-26)

Après avoir tué son frère Abel, Caïn est banni par son père et se retire à l’Est d’Eden. John Steinbeck avec cette référence biblique, comme titre de son roman, révèle déjà le tiraillement entre le bien et le mal mais également les rapports filiaux au coeur de son oeuvre.

A l’est d’Eden dresse des portraits profonds et humanistes de trois générations successives.

Dans la vallée de Salinas en Californie, des familles vont tenter leur chance afin de cultiver une terre qu’ils espèrent prospères.

Adam et Charles Trask sont demi-frères. Ils sont très différents et font face ensemble à la seule autorité paternelle. Adam est aussi calme et doux que son frère, Charles, est froid et violent. Destinés à embrasser une carrière militaire, ils vont cependant rapidement se différencier y compris dans leurs rapports avec leur père.

Quelques années plus tard, Adam rencontre Cathy. L’amour qu’il lui porte changera à jamais sa vie. Eperdu, il ne voit en elle que douceur et gentillesse. Pourtant, derrière cette beauté angélique, se cache les pires vices.

Cathy accouche des jumeaux Aaron et Caleb. Comme un écho sur cette ultime génération, les mécanismes du rapport au père semble se reproduire.

Adam Trask déménage avec sa famille en Californie et fait la connaissance de la famille Hamilton. Venus d’Irlande du Nord, les Hamiltons ont tissé des liens solides autour de la figure paternelle de Samuel.

Tout au long du roman, les Trasks et les Hamiltons vont évoluer côte à côte…

Cette fresque éblouissante aborde le rapport à la morale mais également à la destinée. Evoquant avec force, la prédominance des choix dans le conditionnement de l’existence, Steinbeck au-delà de l’épopée familiale livre un roman humaniste.

Chaque personnage est si profondément vivant sous la plume de Steinbeck que le lecteur est emporté avec eux durant les années qui s’écoulent avec délice.

Désormais profondément ancré dans mes mémoires de livres, je me suis délectée page après page de ce roman époustouflant.

Ma note :

Note : 5 sur 5.

Coup de ❤

Citations : 

« Et pourtant nous empruntons tour à tour les chemins de l’innocence ou du péché. N’avons-nous pas tous dragué et fouillé les eaux noires de notre âme ? »

« Pour dire d’un homme qu’il fut heureux, attendez qu’il ait tourné sa dernière page »

« Il y a des preuves très solides pour affirmer que Dieu n’existe pas, mais, pour bien des gens, elles ne sont pas aussi fortes que l’impression qu’il existe »

« Je sais qu’on utilise parfois le mensonge pour ne pas blesser, mais je ne crois pas que son effet soit bienfaisant. La douleur fulgurante de la vérité se dissipe, alors que la douleur lancinante du mensonge demeure. C’est un mal rongeant »