Je sais pourquoi chante l’oiseau en cage – Maya Angelou (1969)

Et si nous parlions d’une histoire de vie poignante ?

Dans ce récit autobiographique, Maya Angelou nous parle de son enfance et de son adolescence dans le sud des Etats-Unis. Ses parents la confient avec son jeune frère à sa grand-mère, Momma. Aussi dure que protectrice, Momma va leur donner une éducation religieuse rigide. Son enfance est rythmée par l’école, l’église et les corvées au sein du magasin alimentaire où travaille sa grand-mère.

À l’âge de sept ans, Maya et son frère partent retrouver leur mère, une femme belle et indépendante. Lors de ce séjour, Maya connaîtra la fin définitive de son enfance et retournera vivre brutalement chez sa grand-mère.

Malgré les nombreux drames qui jalonnent sa vie, Maya arrive à puiser sa force dans la littérature. Elle côtoie Poe, Shakespeare ou encore les soeurs Brontë et apprend à lire à voix haute. Son caractère fort et indomptable prend aussi racine dans les femmes qui accompagnent son enfance notamment sa grand-mère. À travers sa propre histoire, Maya Angelou dessine à chaque page le poids du racisme qui a impacté toute sa vie et celle de sa famille.

Figure du mouvement américain pour les droits civiques, Maya Angelou est à la fois poétesse, écrivaine, actrice et militante, ce livre nous permet d’en savoir bien plus sur l’enfance d’une femme hors du commun.

Maya Angelou construit ses mémoires sous forme de brides et mélange les petits instants insignifiants de son quotidien et les grands événements qui ont marqué son enfance.

À la fois tendre et cynique, ce récit dévoile au lecteur toute l’intimité et les combats de Maya Angelou.

Ma note :

Note : 3 sur 5.

Citations :

« Pour la bonne raison qu’en réalité j’étais blanche et qu’une cruelle fée Carabosse, bien naturellement jalouse de ma beauté, m’avait changée en un échalas de négresse, avec des cheveux noirs crépus, des pieds plats et, entre les dents, un espace où on aurait pu glisser un crayon ».

« Laissez donc aux Blancs leur argent et leur pouvoir, leur ségrégation et leurs sarcasmes, leurs grandes maisons et leurs écoles, et leurs pelouses comme des tapis et leurs livres et surtout – surtout – laissez-leur donc leur blancheur. Il valait mieux être humble et modeste, insulté et maltraité pour un petit bout de temps que de passer l’éternité à rôtir en enfer »

Mémoires d’une jeune fille rangée – Simone de Beauvoir (1958)

Et si nous évoquions une œuvre autobiographie ?

Ce texte d’apprentissage nous confronte au destin unique de Simone de Beauvoir. De ses premiers pas à ses émois de jeune fille, cette autobiographie retrace sa jeunesse mais aussi ses rapports avec la littérature et la philosophie.

Simone est une jeune fille sérieuse et conformiste, imprégnée de son éducation catholique, elle va peu à peu s’éloigner des codes dictés par son milieu et réfléchir par elle-même.

Depuis son plus jeune âge, elle idolâtre son père qu’elle voit comme un modèle. Puis, à l’adolescence, elle s’émancipe, peu à peu, de ses parents. Elle prend pour la première fois conscience que ses valeurs peuvent être bien différentes. Eprouvant une passion pour la littérature et la philosophie, elle décide de poursuivre ses études plutôt que de devenir une mère de famille. Le mariage n’est plus sa norme et Simone pense, avant tout, à son indépendance intellectuelle.

Ces mémoires sont également construits autour de rencontres déterminantes. Ainsi, au-delà des mots, c’est au travers d’autrui que Simone découvre d’autres manières de penser et d’aborder la vie. Elle va ainsi réussir à évoluer et à s’éloigner du carcan familial. Ses rapports avec Jacques, Zaza, Herbaud mais surtout Sartre sont particulièrement intéressants. A ce titre, j’aurai aimé que sa relation avec Sartre, qui apparaît à la fin du livre, soit plus enrichie.

J’ai ressenti des longueurs durant la première partie de l’ouvrage, mais peu à peu, le charme opère. J’ai aimé son rapport aux livres, cette passion va prendre une place centrale dans son existence et être aussi le terrain de son indépendance. Ainsi, c’est une femme résolument moderne qui nous est dépeinte, elle se place au même niveau que les hommes qu’elle côtoie.

Finalement, Simone de Beauvoir nous raconte sa libération intellectuelle et féministe dans une époque construite autour de valeurs traditionnelles.

Ma note :

Note : 3 sur 5.

Citations :

« J’aimais mon entourage, mais quand je me couchais le soir, j’éprouvais un vif soulagement à l’idée de vivre enfin quelques instants sans témoin ; alors que je pouvais m’interroger, me souvenir, m’émouvoir, prêter l’oreille à ces rumeurs timides que la présence des adultes étouffe ».

« La littérature prit dans mon existence la place qu’y avait occupée la religion : elle l’envahit toute entière, et la transfigura ».

« Je veux la vie, toute la vie. Je me sens curieuse, avide, avide de brûler plus ardemment que toute autre, fût-ce à n’importe quelle flamme ».

Le consentement – Vanessa Springora (2020)

Et si nous évoquions un témoignage bouleversant et courageux ?

Vanessa Springora a treize ans lorsqu’elle devient la proie d’un prédateur : Gabriel Matzneff. Dans cet ouvrage, elle dépeint cette relation d’emprise et la retrace en plusieurs actes.

Son témoignage débute par le récit d’une enfance brisée où un père absent a laissé un vide insondable.

Lors d’une soirée où se rencontre les personnalités du monde littéraire, Vanessa Springora fait la connaissance d’un écrivain, G. Être intouchable par sa célébrité et par son intellect, c’est un regard plein de désir qu’il pose sur l’adolescente. Puis, la domination se tisse autour des mots par l’afflux de lettres où il lui déclare son amour.

G. se dresse en mentor et remplace une figure paternelle dramatiquement absente. Il se place comme le seul homme capable de l’initier à la sexualité. Puis, elle arrive peu à peu à se détacher de cette relation dépendante et parvient à s’en libérer.

Enfin, Vanessa Springora nous livre l’empreinte indélébile laissée par cet homme sur sa vie de femme. Elle décrit les traces profondes et traumatiques qui marqueront à jamais son corps et son âme.

Déflagration dans le milieu littéraire, ce livre loin d’un acte de vengeance est avant tout thérapeutique. Vanessa Springora par l’écriture cherche à se reconstruire. Cette relation d’emprise par la littérature l’a détournée des mots. Ce roman, véritable processus de résilience, lui a permis de renouer avec l’écriture.

Avec stupéfaction, nous découvrons l’impunité dont Gabriel Matzneff a bénéficié pendant tant d’années. Au-delà d’une parole enfin libérée, Vanessa Springora mène également une réflexion élégante et digne sur la notion de consentement.

Un livre qui se lie en quelques heures et qui invite, par les mots, à une prise de conscience nécessaire.

Ma note :

Note : 4 sur 5.

Citations :

« Depuis tant d’années, je tourne en rond dans ma cage, mes rêves sont peuplés de meurtre et de vengeance. Jusqu’au jour où la solution se présente enfin, là, sous mes yeux, comme une évidence : prendre le chasseur à son propre piège, l’enfermer dans un livre ».

« Notre amour était un rêve si puissant que rien, pas un seul des maigres avertissements de mon entourage, n’avait suffi à m’en réveiller. C’était le plus pervers des cauchemars. C’était une violence sans nom ».

Qui a tué mon père – Edouard Louis (2018)

Envie de se plonger dans un pamphlet politique court et cinglant ?

J’avais déjà beaucoup apprécié En finir avec Eddy Bellegueule, c’est donc avec beaucoup de plaisir que j’ai débuté un des autres textes marquants d’Edouard Louis « Qui a tué mon père ».

L’écrivain raconte son père dans ce court récit amplement autobiographique.

Edouard Louis envisage son rapport complexe et profond à son père. L’ouvrage débute ainsi par ses quelques mots reflets de l’intensité de ce récit :

« Si ce texte était un texte de théâtre, c’est avec ces mots là qu’il faudrait commencer : Un père et un fils sont à quelques mètres l’un de l’autre dans un grand espace, vaste et vide. »

Dès les premières lignes, Edouard Louis nous fait part du gouffre inouï creusé entre lui et son père au fil des années, deux êtres qui ne se sont jamais véritablement compris. Un père resté hostile à la féminité de son fils mais qui, pour autant, n’a jamais cessé de l’aimer.

Dès son enfance, l’écrivain se place comme différent et diamétralement opposé à son géniteur. Pour autant, durant tout le récit, un amour puissant les lie l’un à l’autre par la beauté de certains gestes. Cette ambivalence, reflet de leur rapport intime, est criante de vérité.

Mais ce texte est également un pamphlet politique, Edouard Louis exprimant avec beaucoup de force comment la politique a brisé son père.

Comment, l’usure du travail à l’usine a fini par broyer son dos. Puis, comment les réformes successives l’ont obligé à une reprise d’un travail comme balayeur malgré des souffrances physiques insoutenables.

J’ai découvert un réquisitoire acerbe sur les conséquences des choix politiques sur les individus.

Les deux volets de ce récit sont portés par une belle écriture incisive. Un livre viscéral qui emporte immédiatement son lecteur.

Ma note :

Note : 5 sur 5.

Citations : 

« Quand on lui demande ce que le mot racisme signifie pour elle, l’intellectuelle américaine Ruth Gilmore répond que le racisme est l’exposition de certaines populations à une mort prématurée ».

« Pour les dominants, le plus souvent, la politique est une question esthétique : une manière de se penser, une manière de voir le monde, de construire sa personne. Pour nous, c’était vivre ou mourir. »

« L’histoire de ton corps accuse l’histoire politique ».

Tous les hommes désirent naturellement savoir – Nina Bouraoui (2018)

Entre l’enfance et l’acceptation du désir, Nina Bouraoui raconte son passé. Elevée en Algérie puis en France, l’écrivaine navigue entre deux pays sans vraiment trouver son identité.

Cette quête de soi sera aussi celle de sa sexualité. Aimant les femmes depuis toujours, elle ne parvient pas à s’accepter pleinement avant de découvrir les nuits parisiennes. Au détour de ses sorties nocturnes au Kat, un club où se mélange des femmes de tous horizons, elle rencontre celle qui contribuera à faire naître un désir refoulé depuis l’enfance.

Nina Bouraoui laisse remonter des souvenirs éparpillés afin de dessiner peu à peu les liens entre sa quête identitaire et sexuelle.

Ce roman intime nous livre le parcours d’une errance emprunte de peur. En effet, la narratrice reste honteuse de sa différence. Pourtant, peu à peu, elle parvient à s’accepter.

Ce roman autobiographique retrace des instants de vie. J’ai été particulièrement déroutée par la forme de ce roman. En effet, écrit sous forme de brides, je n’ai pas réussi à m’accrocher à ses souvenirs désordonnés.

Si le style est élégant, j’ai trouvé que l’intimité de son texte et les souvenirs éparses laissaient le lecteur quelque peu de côté. Si la construction est originale, je n’ai pas réussi à être touchée autant que je l’aurai voulu.

Ma note :

Note : 1 sur 5.

Citations : 

« L’écriture n’apaise pas, c’est le feu sur le feu »

« La France c’est le vêtement que je porte, l’Algérie c’est ma peau livrée au soleil et aux tempêtes »

« Le Kat est relié à mon premier désir d’écriture, comme si le désir des corps, assouvi ou non, la découverte d’un nouveau monde, l’acceptation et l’exploration d’une sexualité en dehors de la norme menaient au livre, à l’imaginaire, aux mots ».

« Il faut savoir l’accepter, la vie n’est pas un rêve, nous ne sommes pas sur terre pour avoir sans cesse du plaisir, la part qui pèse est supérieure à la légèreté ».

Si c’est un homme – Primo Levi (1947)

« Un peuple qui oublie son passé se condamne à le revivre » Winston Churchill

Et si nous parlions d’un témoignage indispensable ?

Nous avons tous beaucoup appris sur l’horreur des camps de concentration. Beaucoup de témoignages, de documentaires et de films ont tenté de décrire l’ineffable cauchemar des camps de la mort.

Malgré tous ces récits, j’avais souvent l’impression de ne jamais réussir à entrevoir la survie dans les camps d’extermination.

Issu d’une famille juive, Primo Levi, né à Turin en 1919, tente de résister au fascisme.  Déporté à Auschwitz en 1944, il sera libéré par l’armée rouge en janvier 1945, dans ce récit poignant il nous décrit son long parcours dans les camps de la mort.

De retour à Turin quelques mois plus tard, il sera hanté toute sa vie par l’expérience du Lager et finira par se suicider en 1987, à l’âge de 67 ans.

Déjà écrit en pensée à l’époque de sa déportation, comme une libération intérieure, c’est par les mots que Primo Levi raconte les conditions de vie à Auschwitz.

Primo Levi dépeint la déshumanisation mécanique et implacable à l’encontre des déportés mais aussi la capacité de résilience de l’âme humaine.

Un tel choc ne m’avait pas traversé depuis mes études et la découverte du film « Shoah » de Claude Lanzmann sorti en 1985.

Ciment du devoir de mémoire et Bible de l’humanité, ce récit sans l’ombre d’une trace de haine est incontournable pour comprendre la Shoah.

Ma note :

Note : 5 sur 5.

Coup de ❤

Citations :

« Nous découvrons tous tôt ou tard dans la vie que le bonheur parfait n’existe pas, mais bien peu sont ceux qui s’arrêtent à cette considération inverse qu’il n’y a pas de non plus de malheur absolu »

« Détruire un homme est difficile, presque autant que le créer : cela n’a été ni aisé ni rapide, mais vous y êtes arrivés, Allemands. Nous voici dociles devant vous, nous n’avez plus rien à craindre de nous : ni les actes de révolte, ni les paroles de défi, ni même un regard qui vous juge »

« Si je pouvais résumer tout le mal de notre temps en une seule image, je choisirais cette vision qui m’est familière : un homme décharné, le front courbé et les épaules voûtées, dont le visage et les yeux ne reflètent nulle trace de pensée »

« Il faut donc nous méfier de ceux qui cherchent à nous convaincre par d’autres voies que par la raison, autrement dit des chefs charismatiques : nous devons bien peser notre décision avant de déléguer à quelqu’un d’autre le pouvoir de juger et de vouloir à notre place »

Dix-sept ans – Eric Fottorino (2018)

Avez-vous une image de votre mère lorsqu’elle avait dix-sept ans ?

Pour cette rentrée littéraire 2018, Eric Fottorino tente de répondre à cette question épineuse.

Connaît-t-on vraiment la femme qui se cache derrière notre mère, sa jeunesse ? ses souffrances ? ses combats ?

Ce récit autobiographique s’ouvre sur la révélation d’un lourd secret. Lina dévoile à ses fils une part cachée d’elle-même qu’elle n’avait jamais osé révéler.

A l’âge de dix-sept ans, Lina tombe enceinte et doit affronter cette grossesse non désirée. Une naissance que sa propre mère n’arrivera jamais à accepter. Au fil du livre, nous découvrons les souffrances d’une femme, ses combats pour la liberté mais surtout son amour pour ses fils.

Eric Fottorino essaye de provoquer une rencontre avec une mère dont il a l’impression qu’elle demeure cette inconnue qui est restée à ses côtés durant son enfance.

Il n’a jamais su comment l’appeler autrement que « Lina », le mot « Maman » ne parvenant jamais à franchir le recoin de ses lèvres. Face à une grand-mère omniprésente qui finalement se comporte comme un mère, Lina a du mal à trouver sa place.

Davantage sœur que mère, amie que véritable appui dans la vie d’Eric, l’écrivain demeure dans la frustration d’avoir été privé de cet amour maternel.

Et pourtant ! Eric Fottorino, au fil du livre, cherche et découvre cette femme au lourd passé.

Dans une quête identitaire le conduisant jusqu’à un Nice meurtri par les attentats de 2016, l’écrivain retrace le parcours de sa mère à l’âge de dix-sept ans, l’imaginant déambuler sur la promenade des anglais. Il fantasme la vie de Lina, ses pensées et ses espoirs…

Dans cette biographie émouvante, Eric Fottorino dresse le portrait d’une femme qu’il a aimé sans véritablement en prendre conscience.

Un bel éloge à un amour maternel ressuscité !

J’ai aimé le thème du livre et la tendresse qui s’en dégage. L’auteur nous dévoile, avec beaucoup d’émotion, une part intime de son enfance et de sa famille.

Malgré l’aspect touchant de ce récit, je n’ai pas réussi à être totalement transportée par ma lecture. La plume d’Eric Fottorino ne m’a pas bouleversée autant que je l’aurais souhaité.

Ma note :

Note : 2.5 sur 5.

Citations :

« L’amour de ma mère, je ne l’ai pas senti. Il a manqué une étincelle. Sur l’adolescente qui attendait la délivrance, elle ne m’a jamais éclairé. Trop coupable pour articuler un mot. C’est dans ce silence que nous nous sommes perdus. Le silence. Il est devenu notre marque de fabrique. Depuis toutes ces années, ne rien se dire a été notre mode unique de conversation »

« On s’écorchait, ça faisait du vague à l’âme. On s’enfonçait des aiguilles dans le cœur pour vérifier qu’on s’aimait, qu’on en crevait de s’aimer » 

Le monde d’hier – Stefan Zweig (1942)

Aujourd’hui, nous n’avons pas encore envie de laisser filer l’été mais nous parlons d’un livre sérieux et historique avec Stefan Zweig !

Loin du roman, un livre-témoignage qui nous permet de découvrir un véritable tableau d’un demi-siècle de l’histoire européenne sous le regard d’un de ses plus grands écrivains.

Dans ce livre largement emprunt d’autobiographie, il nous raconte l’histoire de l’Europe de 1895 à 1941 où l’écrivain a grandi, écrit, voyagé.

Stefan Zweig nous fait rencontrer les figures des plus grands intellectuels de son siècle tels que Sigmund Freud, Romain Rolland, Auguste Rodin, Paul Valéry. Nous évoluons avec l’écrivain dans une sphère privilégiée, la bourgeoisie viennoise d’avant 1914. Ainsi, il nous dresse avec une grande finesse les portraits de l’élite intellectuelle d’une époque, l’insouciance et les espoirs générés par les progrès techniques.

Dans son récit, il nous raconte aussi ses voyages, son succès mais surtout la montée grandissante et inquiétante du nationalisme et de l’antisémitisme. Stefan Zweig reste discret et extrêmement pudique sur sa vie privée et nous livre, avant tout, sa vision d’une Europe.

Il choisira l’exil et ne connaîtra jamais frontalement les horreurs de la montée de l’antisémitisme même s’il parvient à en ressentir les effets avec une particulière acuité.

Il nous plonge dans le grand désarroi de sa fuite. L’errance d’un homme attaché à son pays, à ses espoirs d’une Europe unie, à ses idéaux pacifiques, qui devient un apatride désillusionné par l’écrasement d’une civilisation sous l’irrésistible poussée du nazisme.

Amoureuse de l’œuvre de Stefan Zweig, je n’ai pas hésité à découvrir « Le monde d’hier », ce livre emprunt de nostalgie sur les souvenirs d’une Europe qu’il a parcourue, chérie et dont il a vu la destruction progressive.

Rédigé en 1941, lors de son exil au Brésil, ce livre est aussi le dernier grand témoignage de Stefan Zweig qui avait décidé de mettre fin à ses jours ne pouvant faire face au suicide de l’Europe.

J’ai aimé parcourir avec lui cette période de l’histoire, ce livre d’une très grande richesse historique nous plonge avec délice dans le milieu intellectuel de l’avant-guerre. Zweig nous donne cette sensation inestimable d’être aux cotés des grands intellectuels de son temps.

Ce livre est à lire pour les passionnés de Stefan Zweig qui ont envie d’en savoir plus sur sa vie, ses rencontres, ses idéaux. Il plaira aussi aux amateurs de l’histoire européenne.

Cependant, si vous ne connaissez pas encore l’œuvre de Stefan Zweig ne débutez pas votre rencontre avec cet imminent auteur par le monde d’hier, véritable panorama de l’histoire européenne.

Je ne peux que vous inciter à commencer par ses nouvelles, plus accessibles et incontournables, telles que « Le Joueur d’échecs », « Vingt-quatre heures dans la vie d’une femme » ou « La Confusion des sentiments » avant de vous atteler à ce volume d’une grande richesse sur l’histoire européenne.

Ma note :

Note : 3 sur 5.

Citations :

« Être seul à aimer quelqu’un, c’est toujours aimer deux fois plus »

« Mais peut-être une puissance plus profonde, plus mystérieuse, était-elle aussi à l’oeuvre sous cette ivresse. Cette houle se répandit si puissamment, si subitement sur l’humanité que, recouvrant la surface de son écume, elle arracha des ténèbres de l’inconscient, pour les tirer au jour, les tendances obscures, les instincts primitifs de la bête humaine, ce que Freud, avec sa profondeur de vues, appelait « le dégoût de la culture », le besoin de s’évader une bonne fois du monde bourgeois des lois et des paragraphes, et d’assouvir les instincts sanguinaires immémoriaux. Peut-être ces puissances obscures avaient-elles aussi leur part dans cette brutale ivresse de l’aventure et la foi la plus pure, la vieille magie des drapeaux et des discours patriotiques — cette inquiétante ivresse des millions d’êtres, qu’on peut à peine peindre avec des mots et qui donnait pour un instant au plus grand crime de notre époque un élan sauvage et presque irrésistible »

Le lambeau – Philippe Lançon (2018)

Le lambeau,

  1. Morceau d’étoffe, de papier, de matière souple, déchiré ou arraché, détaché du tout ou y attenant en partie.  
  2. Par analogie : morceau de chair ou de peau arrachée volontairement ou accidentellement. Lambeau sanglant ; lambeaux de chair et de sang. Juan, désespéré, le mordit à la joue, déchira un lambeau de chair qui découvrait sa mâchoire (Borel, Champavert, 1833, p. 55)
  3. Chirurgie : segment de parties molles conservées lors de l’amputation d’un membre pour recouvrir les parties osseuses et obtenir une cicatrice souple. Il ne restait plus après l’amputation qu’à rabattre le lambeau de chair sur la plaie, ainsi qu’une épaulette à plat (Zola, Débâcle, 1892, p. 338). (Définitions extraites du Trésor de la Langue Française) »

La quatrième de couverture de l’œuvre de Philippe Lançon nous décrit ce lambeauCe déchirement d’un morceau de chair qui a fait basculer la vie d’un des rescapés de l’attentat de Charlie Hebdo.

Le 7 janvier 2015, Philippe Lançon assiste à la première conférence de rédaction de l’année dans les locaux de Charlie Hebdo. Trois balles des assaillants l’atteindront gravement au niveau de sa mâchoire.

Avant tout, Philippe Lançon nous livre dans cet ouvrage, l’histoire d’une nouvelle naissance et d’une reconstruction. Ainsi, il sera pris en charge pendant quatre mois à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière puis six mois, en rééducation, aux Invalides.

Nous suivons un parcours hospitalier rude et intense. Nous alternons entre un récit lent décrivant avec finesse ce temps hospitalier et des passages plus vifs accompagnés de retour en arrière, sur son ancienne vie, devenue si étrangère.

Sa rencontre avec sa chirurgienne, Chloé, au cœur du roman, nous dévoile la force des liens hospitaliers qui le ramèneront progressivement vers une autre vie.

Lançon choisit de nous livrer sa métamorphose avec une force et une extrême sincérité. Il a rejeté tout pathos, toute mélancolie et a proscrit le ton larmoyant dans ce récit d’une épreuve inimaginable. Lançon nous livre également sa vie, son parcours, ses références, son entourage, ses amis…

Cette mise à nu nous révèle la vérité brute d’un parcours de soin.

En définitive, Lançon parle-t-il finalement de l’attentat de Charlie Hebdo ? Non, ce livre est dédié au milieu hospitalier, à cette réhabilitation du corps et de l’âme, à son parcours entre deux mondes, entre la vie et la mort.

Un livre important sur le parcours d’un homme qui a traversé l’indéfinissable.

Finalement, c’est au travers des mots et de l’écriture que Philippe Lançon a peut-être trouvé, en partie, le pouvoir d’accéder à la résilience.

Miroir du lambeau, cette résilience en psychologie est « le phénomène permettant de revenir d’un état de stress post-traumatique » Mais c’est aussi : 

  1. En écologie, « la capacité d’un écosystème, d’une espèce ou d’un individu à récupérer un fonctionnement ou un développement normal après avoir subi une perturbation » ;
  2. En économie, « la capacité à revenir sur la trajectoire de croissance après avoir encaissé un choc » ;
  3. En physique, « propriété qui caractérise l’énergie absorbée par un corps lors d’une déformation » ;

Ma note :

Note : 4.5 sur 5.

Citations :

« Notre enfance commune, nos vacances, nos fêtes, nos blagues à deux balles, nos déjeuners rapides et réguliers dans un restaurant chinois situé sur l’avenue de la République où nous mangions toujours exactement la même chose, les mille et un liens qui nous tenaient sans que nous y pensions, tout ne semblait avoir eu lieu que pour aboutir là, dans cette salle de réveil, premier cadre de l’épreuve qui nous attendait »

« Toute mon enfance si pâle et tous les moments qu’il nous avait donnés apparaissaient pour disparaître et j’ai senti de nouveau, mais avec une force inédite, qu’on mourait un nombre incalculable de fois dans une vie, des petites morts qui nous laissaient là, debout, pétrifiés, survivants, comme Robinson sur l’île qu’il n’a pas choisie, avec nos souvenirs pour bricoler la suite et nul Vendredi pour nous aider à la cultiver » 

« Je ne pouvais pas éliminer la violence qui m’avait été faite, ni celle qui cherchait à en réduire les effets. Ce que je pouvais faire en revanche, c’est apprendre à vivre avec, l’apprivoiser, en recherchant, comme disait Kafka, le plus de douceurs possible »