Idiss – Robert Badinter (2018)

Idiss, un récit inclassable, extrêmement personnel et poignant.

Robert Badinter nous raconte la destinée de sa grand-mère Idiss. Cette femme forte grandit en Bessarabie, région rattachée à de nombreux pays au fil du temps et aujourd’hui partagée entre la Moldavie et l’Ukraine. Idiss connait la violence de l’antisémitisme à travers les pogroms perpétrés contre les juifs.

Malgré les persécutions, elle tombe éperdument amoureuse de Schulim. De cette union née trois enfants, Avroum, l’ainé de la famille qui parvient à faire les études les plus élevées, Naftoul, le plus altruiste et sensible, et Chiffra devenue Charlotte, la mère de Robert Badinter.

Réfugiée en France avec sa famille en 1912, Idiss est hantée par la honte de son analphabétisme mais s’adapte peu à peu à la bourgeoisie parisienne et s’intègre dans la République Française.

Une vie paisible se poursuit en France. Charlotte fait la connaissance de Simon, un entrepreneur ingénieux et profondément honnête avec qui elle aura deux fils, Claude et Robert.

Avec un portrait plein de tendresse, Robert Badinter nous dévoile sa grand-mère, une femme forte, digne, courageuse et aimante. Il nous offre une vision de la société de l’entre-deux-guerres et nous décrit le basculement inéluctable vers l’horreur de la seconde guerre mondiale.

Avec une très grande émotion, nous suivons le parcours de cette famille, exilée en France, leurs espoirs pour les principes Républicains jusqu’à l’effondrement de leurs idéaux avec la République de Vichy et le déchirement de la seconde guerre mondiale.

J’ai été littéralement happée par la force de ce récit qui témoigne de l’amour d’un petit-fils pour sa grand-mère maternelle et nous livre des confidences intimes. Avec une pudeur déchirante, Robert Badinter touche le lecteur en plein coeur !

Ma note :

Note : 4.5 sur 5.

Citations :

« Le moment était venu du grand départ, celui dont on ne revient que comme un étranger à ces lieux qui furent familiers, à ces amis qui furent proches, à une vie qui fut la vôtre. Bref, partir sans esprit de retour, sauf comme un visiteur de son passé ».

« Idiss vient nous embrasser. J’ai conservé le souvenir du parfum d’eau de Cologne dont elle se versait deux gouttes derrière les oreilles avant de « sortir », comme elle disait. Ce parfum- là, quand il m’arrive d’en percevoir l’odeur des décennies plus tard, évoque son visage penché vers moi pour me donner un dernier baiser. Je ferme les yeux. C’est mon enfance revisitée ».

« Valises bouclées, restait le plus douloureux : dire au revoir – en réalité adieu – à notre grand-mère. Ce moment-là, je l’appréhendais plus que tout autre. Je savais que ses jours étaient comptés. Sa vie allait s’achever et je ne la reverrais jamais. Cette pensée, je la repoussais de toutes mes forces. Mais elle était la vérité ».

Tristesse et beauté – Yasunari Kawabata (1965)

Et si nous voyagions dans la délicatesse de la littérature Japonaise ?

Tristesse et beauté est ma première découverte avec la plume de Yasunari Kawabata, écrivain majeur de la littérature japonaise du XXème siècle et prix Nobel de littérature en 1968.

Durant toute son oeuvre, il décrit des personnages hantés par la solitude, la mort et la beauté.

Tristesse et beauté, publié en 1965, ne déroge pas à la règle et traite des thèmes chers à l’auteur.

Nous rencontrons Otoko, une peintre d’une quarantaine d’années et découvrons, au fil des pages, son passé et son amour passionnel et fusionnel pour Oki, un homme marié.

Otoko est âgée de 16 ans lorsqu’elle rencontre Oki. Extrêmement belle, elle fait la connaissance de cet homme bien plus âgé avec qui elle noue une relation passionnée emprunte de domination.

Cette relation la hantera à tout jamais et la conduira même jusqu’à la folie. Oki lui aussi est resté marqué par cet amour qui le hissera jusqu’à la gloire avec l’écriture de son plus beau livre « une jeune fille de seize ans ».

Des années plus tard, la veille du jour de l’An, Oki part écouter les cloches du monastère bouddhiste situé à Kyoto. Il n’a qu’un désir écouter le son des cloches de fin d’année en compagnie d’Otoko son ancien amour.

A cette occasion, Oki rencontrera Keiko, élève et amante d’Otoko. Sa beauté inégalable, jette le trouble dans les sentiments d’Oki et vient bouleverser sa vie, telle un écho à son passé et à son ancien amour pour Otoko.

Le charme de Keiko est implacable, elle envoûte Oki mais également son fils, Taichiro. Et pourtant, on ne connaît pas ses véritables motivations : son amour inconditionnel pour Otoko, un esprit de vengeance, ses désirs de jeunesse ?

Au fil de l’ouvrage, la mort commence à tisser ses premiers fils et la mystérieuse Keiko vient bouleverser l’équilibre familial de la vie d’Oki.

Cet ouvrage terriblement japonais, est rempli de raffinement et de nostalgie.

Cependant, je ne sais pas s’il restera indélébile dans mes mémoires de livres, peut-être car ce récit n’est finalement qu’une brume délicate qui vient se poser sur les souvenirs amoureux ?

Ma note :

Note : 4.5 sur 5.

Citations :

« C’est du coucher du soleil aux premières lueurs de l’aube, installé au bord de la rivière en mangeant et en buvant du saké, qu’il faut jouir de la fraîcheur du soir ».

« Le temps s’écoule pareillement pour tous les êtres humains, mais chaque homme se meut en lui selon un rythme qui lui est propre ».

« La brise de la rivière
Un lèger kimono fauve sur le dos
Fraîcheur du soir »

Les huit montagnes – Paolo Cognetti (2016)

Envie d’un joli moment d’évasion ?

Paolo Cognetti nous transporte dans les paysages magnifiques de la Vallée d’Aoste en Italie.

Pietro est né à Milan mais découvre très jeune les torrents, les chemins escarpés, les alpages. En effet, ses parents qui n’ont jamais cessé d’aimer la nature l’initient chaque été aux paysages montagneux.

Il passe ainsi les vacances à Grana, un village niché au cœur de la montagne italienne. Pietro fait la connaissance de Bruno, un vacher de son âge qui ne s’est jamais éloigné de cette montagne. Cette rencontre le mène peu à peu vers la nature sauvage et la conquête de cette montagne si mystérieuse.

Bruno, montagnard né, est taciturne. Ses parents impénétrables ne semblent pas lui offrir un environnement familial aimant. Il trouve alors le réconfort et la protection auprès des parents de Pietro.

Les deux garçons, tous les deux silencieux et solitaires, partagent des relations difficiles avec leurs pères respectifs et finissent par se comprendre en un seul regard.

Les années s’écoulent et finalement les chemins des deux jeunes hommes vont s’éloigner.

Pietro, vingt ans plus tard, sera à nouveau ramené vers la montagne de Grana et redécouvrira avec émotion les souvenirs indélébiles de son enfance.

Bruno, le rat des champs, et Pietro, le rat des villes a nouveau lié dans cette amitié fraternelle affronteront ensemble les épreuves de leurs vies d’adultes.

Ode à la nature, ce roman offre un profond moment d’évasion à travers la description de paysages montagneux majestueux et des saisons successives s’écoulant dans la Vallée d’Aoste.

Mais c’est surtout avec une profonde émotion que Paolo Cognetti dépeint une belle histoire d’amitié et de solitude.

Ma note :

Note : 2.5 sur 5.

Citations :

« Un lieu que l’on a aimé enfant peut paraître complètement différent à des yeux d’adulte et se révéler une déception, à moins qu’il ne nous rappelle celui que l’on n’est plus, et nous colle une profonde tristesse ».

« Lui, irascible, autoritaire, intolérant, elle, forte et tranquille et conservatrice. Leur façon rassurante de jouer toujours le même rôle en sachant que l’autre jouera le sien : ce n’étaient pas de vraies discussions que les leurs, mais des dialogues écrits d’avance dont je devinais immanquablement la chute, et dans cette cage je finissais moi aussi par étouffer ».

« C’est dans le souvenir que se trouve le plus beau refuge ».

Portnoy et son complexe – Philip Roth (1969)

Et si nous commencions cette nouvelle année par des confessions sur le divan d’un psychanalyste ?

Alexander Portnoy, ce jeune homme de 33 ans livre à son psychanalyste les pires confessions. Il lui dévoile son rapport aux femmes, son rejet viscéral de ses parents surprotecteurs, son obsession pour la sexualité, son dédain pour la religion juive…

Elevé par une mère possessive et un père pour qui il n’a que très peu d’admiration, son destin d’enfant juif modèle le répugne.

Dès l’adolescence, il va s’engouffrer presque hystériquement dans un appétit sexuel qui ne semble jamais parvenir à contenir. Exutoire à ses frustrations et ses dilemmes moraux, son obsession pour la sexualité ne cesse de grandir.

Devenu un homme accompli intellectuellement, il refuse de reproduire le schéma familial en épousant une juive. Il préfère laisser libre court à ses pulsions.

Il fait la connaissance de Mary Jane Reed dit le « Singe », cette femme si lointaine du modèle parental. Complètement libre sexuellement, elle assouvit son appétit sexuel mais Alexander Portnoy estime qu’elle n’est pas à la hauteur de son intellect.

Arrogant et antipathique, Alexander n’engendre que très peu de tendresse et d’attachement chez le lecteur.

Durant toutes ses confessions à son psychanalyste, il effectue des va-et-vient incessants entre son modèle parental ancré et le rejet de son éducation.

Les ingrédients de l’univers de Philip Roth sont tous présents dans ce roman : un style corrosif, un humour carnassier, une description de la religion juive, des conflits familiaux, une culpabilité exacerbée et des préjugés tenaces décrits dans un style brillant.

Et pourtant, pour ma part, la magie n’a pas opéré. Ensevelie dans un discours parfois incohérent et noyée sous les références sexuelles crues, j’ai fini par perdre le fil de ma lecture.

Philip Roth n’a jamais cessé de me charmer au fil de ses romans et pour la première fois je suis malheureusement restée de marbre.

Ma note :

Note : 2.5 sur 5.

Citations :

« Mais enfin, pourquoi, bon Dieu, est-ce que je ne pourrais pas m’amuser un peu ? Pourquoi la moindre tentative de ma part dans la recherche du plaisir est-elle aussitôt illicite –pendant que le reste du monde se vautre en riant dans la boue ? « 

« Imaginez la chose : supposons que je me décide et que j’épouse A avec ses délicieux nichons et ainsi de suite, qu’arrivera-t-il lorsque B qui en possède d’encore plus délicieux –ou en tout cas de plus nouveaux- fera son apparition ? Ou C qui a une façon spéciale de remuer son cul dont je n’ai encore jamais fait l’expérience ; ou D, ou E, ou F. J’essaie d’être sincère vis-à-vis de vous, Docteur –parce qu’avec le sexe l’imagination humaine galope jusqu’à Z et ensuite au-delà ! »

Leurs enfants après eux – Nicolas Mathieu (2018)

Nicolas Mathieu est devenu en quelques mois un auteur incontournable. Je n’étais pas de celle qui avait dévoré ce roman avant que son auteur soit propulsé dans la lumière en recevant le prestigieux « prix Goncourt ».

Et pourtant, le thème du roman m’avait déjà touchée en plein cœur : un adolescent pris au piège dans une région désindustrialisée de l’Est de la France et qui fait face à un certain déterminisme social.

Le lecteur découvre un groupe de jeunes évoluant dans l’atmosphère alangui de quatre étés successifs entre 1992 et 1998.

Anthony a grandi dans cette petite vallée où les hauts-fourneaux sont désaffectés. Aux prémices de son adolescence, il commence à ressentir les émois de son premier amour, les découvertes charnelles et à commettre ses premières bêtises de jeunesse…

Lors d’une fête, il fera la connaissance de Steph. Cette jeune fille qui n’a de cesse de réapparaître dans sa vie. Issue d’une classe supérieure, elle lui semble inaccessible et pourtant, elle lui apparaît proche, elle aussi coïncée dans cette ville qui n’offre aucune issue.

On y découvre également Hacine. Ce jeune homme grandit dans cette banlieue à côté de la ville qui le met à fortiori à l’écart. Soumis aux préjugés tenaces, il finit par plonger dans la délinquance.

L’imbrication de ces portraits issus de divers milieux sociaux est extrêmement bien travaillée par Nicolas Mathieu qui nous livre un roman dense, plein de contradiction et de force. Loin des clichés, il nous emporte littéralement dans le parcours de ces jeunes.

La trame de l’histoire apparaît anodine et pourtant Nicolas Mathieu nous offre bien plus dans ce roman d’une extrême richesse. Sous fond de colères adolescentes, l’auteur nous décrit une analyse des classes chère à Bourdieu.

Ces jeunes qui vivent dans une région étriquée et désaffectée projettent de fuir. Cependant, ils apparaissent comme encrés et sclérosés dans leur milieu social à reproduire inexorablement la trajectoire de leurs parents.

Un roman coup de cœur, qui allie avec brio émotion et fresque sociale, à dévorer jusqu’à la dernière ligne.

Ma note :

Note : 5 sur 5.

Coup de ❤

Citations :

« Dans chaque ville que portait ce monde désindustrialisé et univoque, dans chaque bled déchu, des mômes sans rêve écoutaient maintenant ce groupe de Seattle qui s’appelait Nirvana. Il se laissaient pousser les cheveux et tâchaient de transformer leur vague à l’âme en colère, leur déprime en décibels ».

« La minorité avait cette vertu ambiguë, elle vous protégeait mais, en prenant fin, vous précipitait tout d’un coup dans un monde d’une férocité insoupçonnée jusque-là ».

« Ces femmes qui, d’une génération à l’autre, finissaient toutes effondrées et à moitié boniches, à ne rien faire qu’assurer la persistance d’une progénitures vouées aux mêmes joies, aux mêmes maux, tout cela lui collait un bourdon phénoménal. Dans cette obstination sourde, il devinait le sort de sa classe. Pire, la loi de l’espèce, perpétuée à travers les corps inconscients de ces femmes aux fourneaux, leurs hanches larges, leurs ventres pleins ».

Machenka – Vladimir Nabokov (1926)

« Mais aujourd’hui, le printemps est là,

A tous les coins, on vend du mimosa,

Je t’en apporte une branche ;

Elle est frêle comme un rêve… »

« Machenka », le premier roman de Vladimir Nabokov retrace les souvenirs nébuleux d’un amour adolescent.

Cet amour lie Ganine et Machenka, cette jeune femme mystérieuse dont on ne sait presque rien tout au long du récit.

Le cadre de ce roman nous laisse rêveur : une pension berlinoise où se rencontrent des réfugiés russes, plus attachants les uns que les autres, ayant fui leur pays après la révolution.

Koline et Gornotsvetov, un couple de danseurs professionnels ; Anton Sergueïevitch Podtiaguine, un vieux poète russe ; Klara, une femme naïve et tendre ou encore la logeuse, Lydia Nikolaïevna Dorn, veuve d’un homme d’affaires allemand timide et d’une extrême douceur.

Ganine, un homme froid et énigmatique, évolue dans cette pension où règne une atmosphère qui lui rappelle sa ville natale : la Russie.

Lors de son séjour, il rencontre Alfiorov, cet homme qui attend impatiemment sa femme : Machenka.

Ganine déniche une photo de cette femme énigmatique. Il découvre alors que cette épouse tant attendue n’est autre que son premier amour, un souvenir éblouissant et tendre. Il se replongera avec mélancolie et délice dans ce premier émoi d’une extrême pureté.

Avec ravissement, le lecteur revit cette passion de jeunesse. Tout en candeur, nous savourons l’émerveillement d’un premier amour.

Vladimir Nabokov nous dévoile un premier roman magistral qui nous transporte dans une écriture riche et poétique.

Ma note :

Note : 5 sur 5.

Citations : 

« Ganine avait l’impression que le crépuscule fuligineux qui s’infiltrait graduellement dans la chambre pénétrait aussi lentement son corps, transformant son sang en brouillard, sans qu’il fût capable d’échapper au maléfice que le clair-obscur avait jeté sur lui ».

« Toutes ces choses banales et pourtant précieuses qui nous deviennent si familières à la vue et au toucher et dont la seule vertu est qu’elles permettent au voyageur condamné au mouvement perpétuel de se sentir chez lui, si peu que ce soit, quand, vidant ses malles, il retrouve ces bibelots fragiles, précieux, humains, pour la centième fois ».

« Rien ne ressuscite le passé aussi complètement qu’une odeur qui lui a jadis été associée ».

« Ce baiser de pluie d’automne était si long et si profond qu’ensuite de grandes taches lumineuses dansaient devant ses yeux ».

L’attrape-coeurs – J.D. Salinger (1951)

Je me suis enfin attelée à une lecture culte, l’attrape-cœurs de J.D. Salinger, le classique de la littérature américaine des années 50.

Quelques jours avant Noël, un jeune adolescent, Holden Caufield est renvoyé d’un collège réputé, la pension de Pencey, et débute une errance New-Yorkaise.

Loin de connaître le dénuement, il semble évoluer dans une famille aimante et bourgeoise. Entre un père conseiller juridique prospère et une mère femme au foyer, ses parents sont le symbole de l’Amérique des années 50.

Malgré son entourage familial aimant, il ne se résout pas à regagner son domicile et prolonge ses vagabondages dans un froid hivernal. N’osant avouer à sa famille son échec scolaire, il erre d’hôtel en hôtel et fera quelques rencontres impromptues.

Nous naviguons pendant quelques jours en compagnie d’Holden, de ses amis atypiques, de ses premiers émois amoureux et des conseils avisés de ses professeurs qu’il continue de fréquenter malgré son renvoi.

Cet adolescent nous apparaît choyé. Et pourtant tout au long de ma lecture, j’ai rencontré un jeune homme profondément seul et perdu. Sa solitude est celle d’un cœur désoeuvré et détruit par la mort brutale de son frère.

C’est finalement sa relation fraternelle et fusionnelle avec sa jeune sœur Phoebe qui le guidera vers une vie d’adulte…

Ce récit initiatique s’ouvre sur la vie anodine d’un adolescent en manque de repères. Pourtant, le roman nous dévoile, au fil des pages, une puissance inégalée et remue le lecteur presque sans le vouloir.

J’ai achevé ma lecture conquise !

Ma note :

Note : 4 sur 5.

Citations :

« Mon rêve, c’est un livre qu’on arrive pas à lâcher et quand on l’a fini on voudrait que l’auteur soit un copain, un super-copain et on lui téléphonerait chaque fois qu’on en aurait envie. »

« L’homme qui manque de maturité veut mourir noblement pour une cause. L’homme qui a atteint la maturité veut vivre humblement pour une cause. »

« Juste parce que les morts sont morts on n’arrête pas comme ça de les aimer, bon Dieu – spécialement quand ils étaient mille fois plus gentils que ceux qu’on connaît qui sont vivants et tout »

Les souvenirs – David Foenkinos (2011)

Au détour des étals d’un bouquiniste, j’ai croisé « Les souvenirs » de David Foenkinos, un auteur contemporain qu’on ne présente plus !

J’avais passé un joli moment en compagnie de son livre « Charlotte », prix Renaudot 2014, et j’ai eu envie de découvrir un autre de ses ouvrages…

David Foenkinos nous raconte une histoire ordinaire, celle d’un homme qui navigue dans ses souvenirs, dans ceux de ses parents et arrière-grands-parents.

Le narrateur se souvient des moments partagés avec son grand-père juste avant son décès. Ce drame le rapproche de son père, un homme taciturne et froid.

Tous les deux maillons forts et piliers de la famille, ils vont faire face ensemble aux épreuves qui marqueront leurs proches.

En effet, la mère du narrateur, à l’aube de sa retraite, plonge dans une grave dépression et laisse son père complètement désarmé.

Sa grand-mère devenue veuve aborde une nouvelle solitude. Finalement, son père prend la décision difficile de l’emmener dans une maison de retraite. Mais la vieille femme, encore dynamique ne se résout pas à laisser derrière elle la femme qu’elle a toujours été.

En fugue elle part à Etretat, sa ville natale, et tente de retrouver son insouciance mais surtout ses souvenirs…

Tout en mélancolie, David Foenkinos nous raconte une histoire qui pourrait être celle du lecteur et évoque la vieillesse, les amours distendus, les désillusions et la solitude.

Le lien fort tissé entre le narrateur et sa grand-mère est particulièrement touchant.

La plume de David Foenkinos est agréable et légère, et pourtant, je n’ai pas été entièrement conquise et touchée par ce roman. Peut-être trop proche des souffrances d’une vie, je n’ai pas été transportée autant que je l’aurais souhaité.

Ma note :

Note : 1.5 sur 5.

Citations : 

 « Pourquoi ne se souvient-on pas de l’enfance ? Certes, le cerveau n’est pas encore formé, et il y a tant d’explications physiologiques à ce phénomène. Mais je ne veux pas croire à la gratuité de cette donnée : il y a forcément une raison. L’enfance est souvent le terrain des plaisirs primaires, c’est pour beaucoup le paradis des joies simples et faciles à assouvir. Il y aurait sûrement un risque à se souvenir de tout cela. Je me dis qu’on ne pourrait jamais devenir adulte si on était parasité par la conscience de ce bonheur-là. On vivrait en permanence avec une nostalgie béate complètement paralysante »

« Je ne savais pas encore que les femmes importantes d’une vie s’annoncent par le néant. Je ne savais pas qu’il fallait voir dans ce désert sensuel la promesse d’une apparition »

« Les souvenirs sont une espèce de point d’arrivée : et peut-être aussi la seule chose qui nous appartient vraiment » (Georges Perec).

Des fleurs pour Algernon – Daniel Keyes (1966)

Touchée en plein cœur.

Daniel Keyes publie en 1966 son roman « Des fleurs pour Algernon », version étayée de sa nouvelle parue en 1959 dans la revue de science-fiction « The Magazine of Fantasy et Science Fiction », auréolée du prix Hugo de la meilleure nouvelle courte.

Des fleurs pour Algernon retrace le destin de Charlie Gordon, ce jeune homme souffrant d’un retard mental qui n’a qu’un seul souhait « devenir plus intelligent ».

Deux scientifiques vont finalement s’intéresser à lui et lui proposer d’être le cobaye d’une de leurs recherches scientifiques visant à démultiplier les facultés mentales. L’expérience ayant réussi sur la souris du laboratoire, nommée Algernon, ils vont étendre leur expérimentation à l’homme.

A la suite d’une opération, Charlie va devenir progressivement bien plus intelligent que n’importe quel homme. Ses facultés ne vont cesser de s’accroitre, il va apprendre de multiples langues, assimiler des connaissances dans tous les domaines et finalement devenir un être humain aux qualités intellectuelles nettement supérieures.

Mais cette quête de savoir s’accompagne aussi d’une pleine conscience de son être. Il va revivre son enfance, ses peurs et ses traumatismes et sera confronté au sentiment amoureux…

Un roman bouleversant où le lecteur est touché en plein cœur par le personnage de Charlie Gordon. Sa fragilité, son humilité et sa profonde gentillesse sont bouleversantes. Sa découverte du monde, la pleine conscience progressive des autres et de lui-même sont particulièrement intéressantes.

Daniel Keyes, au travers de son personnage, parvient à poser un regard naif, innocent et foncièrement juste sur l’être humain. La créativité qui se dégage de la construction du roman elle-même et l’évolution du personnage dans sa pensée, dans son langage et dans son écriture sont vraiment captivantes.

L’édition augmentée publiée aux éditions « J’ai lu » contient également la nouvelle originale « Des fleurs pour Algernon ». La comparaison avec le roman permet de voir la structure initiale du texte et le travail approfondi effectué par David Keyes.

Par ailleurs, l’essai autobiographique « Algernon, Charlie et moi » expose la construction de l’œuvre « Des fleurs pour Algernon ». La découverte du travail d’écrivain et du parcours pour parvenir à un tel roman suscite chez le lecteur beaucoup d’admiration.

On y découvre notamment une très belle citation de Tourgueniev face aux critiques littéraires acerbes :

« Poète, ne t’attache pas aux acclamations du public. L’instant de la louange extrême passera, et tu entendras porter sur toi le jugement des idiots et les rires de la multitude insensible. Mais reste ferme, serein, et ne te laisse pas décourager.

Tu es un roi ; comme tel, vis dans la solitude. Va librement là où conduit l’esprit de la liberté, en améliorant sans cesse le fruit de tes pensées fécondes et ne cherche aucune récompense pour tes nobles actions.

Ton œuvre est sa propre récompense : tu es le juge suprême de ce que tu as accompli. Tu peux déterminer sa valeur avec plus de sévérité que quiconque.

Es-tu satisfait ? Si c’est le cas, tu peux te permettre d’ignorer la condamnation de la foule »

Ce roman ingénieux, créatif et touchant m’a beaucoup plu.

Ma note :

Note : 4 sur 5.

Citations : 

« L’intelligence et l’instruction qui ne sont pas tempérées par une chaleur humaine ne valent pas cher »

« Je ne prétends pas comprendre le mystère de l’amour, mais cette fois, c’était bien plus qu’un acte sexuel, que la jouissance donnée par le corps d’une femme. C’était être soulevé de terre, au-delà de la peur et des tourments, faire partie d’une entité plus vaste que moi-même. J’étais arraché de la sombre caverne de mon esprit pour fusionner avec quelqu’un d’autre… »

Arcadie – Emmanuelle Bayamack-Tam (2018)

Arcadie, un livre déroutant et transgenre, qui nous dresse le panorama de Liberty House, un éden libertaire, une communauté qui rassemble les exclus, les inadaptés, les déviants.

Ces anticonformistes ont trouvé refuge dans cette zone blanche coupé du monde, des nouvelles technologies, des perturbateurs endoctriniens, des pesticides…

Farah va grandir dans cet univers qui prône la communion avec la nature, le végétarisme, la lecture et l’amour libre. Les habitants de Liberty House prennent le temps de vivre et de se raconter leurs rêves au petit-déjeuner.

A l’adolescence, cette jeune fille au physique disgracieux attend la naissance de sa féminité. Pourtant, elle va voir apparaître des attributs masculins et ne sera ni femme ni homme. Intersexuée, elle entamera une quête de genre et connaîtra la puissance du désir.

Profondément intelligente, rebelle, libre et hors norme, Farah déconcerte et fascine.

Farah est entourée de personnages plus bucoliques les uns que les autres, une grand-mère naturiste LGBT, une mère électro-sensible, un père illettré, un gourou et amant fascinant et magnétique.

Pourtant, l’arrivée d’un réfugié va venir bouleverser cette communauté et va les confronter à leurs idéaux. Mais surtout, cette rencontre éloignera Farah de cet éden qui l’a vu grandir.

Roman d’apprentissage tout en intériorité il révolutionne notre vision de la société.

Emmanuelle Bayamack-Tam nous transporte avec une très belle écriture et des références littéraires rafraichissantes. Au détour de l’ouvrage, nous retrouvons Dickinson, Proust, Rilke, Mallarmé, Flaubert ou Nabokov…

Cru, féroce et caustique ce récit inclassable m’a désarçonnée

Ma note :

Note : 3.5 sur 5.

Citations :

« Je pourrais lui pardonner ses coquetteries s’il les compensait par des qualités de cœur, mais de cœur, il n’en a pas, ou plutôt le sien n’est qu’un organe bardé de graisse qui s’échine à battre en dépit des vœux que je formule quotidiennement »

« Tant qu’à disparaitre, autant que ce soit pour la bonne cause, absorbée par un corps étranger, fondue à lui comme une neige au feu – crépitante, exaltée, heureuse »

« De nouveau je m’enflamme, mais cette fois-ci, c’est de penser à toutes ces morts noires qui ne comptent pour personne ; c’est d’évoquer toutes ces fins de vies qui n’en étaient qu’à leur début, des vies tout aussi uniques que celles de n’importe qui – et sûrement beaucoup plus dignes d’être vécues que celle des membres de ma communauté, ces abouliques, ces frileux, qui ne font que vivoter en attendant la mort »

« Elle était bête, égoïste et méchante, mais si on n’aimait que les gens qui le méritent, la vie serait une distribution de prix très ennuyeuse »