Chimères – Naguib Mahfouz (1992)

Et si nous rencontrions un jeune égyptien introverti ?

Dans ce récit intimiste, nous suivons le destin d’un jeune homme étouffé par l’amour maternel.

Depuis sa plus tendre enfance, Kamel vit sous la protection omniprésente de sa mère. Face à un père alcoolique et violent, Kamel est resté auprès de sa mère et de son grand-père. Timide, il appréhende le monde et ses premiers pas à l’école sont désastreux. Incapable de se sociabiliser et d’évoluer avec les autres, il est prostré et côtoie uniquement sa mère.

Avec les années, il va devoir grandir. Il croise la route d’une femme pour qui il va développer une véritable adoration. Cet amour idéalisé lui permettra-t-il de s’ouvrir au monde ?

Récit introspectif, nous suivons le parcours de cet être complexé. Il ne cesse de naviguer entre sa soif d’ivresse et les carcans qui le cloisonnent depuis l’enfance. Avec une plume d’une beauté remarquable, j’ai été emportée par le destin de ce jeune homme et par les rapports complexes entre les personnages. Un merveilleuse psychologique et stylistique que je vous recommande !

Ma note :

Note : 4.5 sur 5.

Citations :

« A évoquer les visages qui ont peuplé mon existence, je ne peux manquer de revoir d’abord le sien, tendre et beau, elle qui fut à la clé de tous mes espoirs et de toutes mes peines, de mes amours et de mes haines, elle qui me rendit heureux au-delà de tout et me blessa tout autant, comme s’il m’était impossible d’aimer ou de haïr davantage, car elle était ma vie, or l’amour et la haine ne font-ils pas toute la vie d’un homme ? Il me fait reconnaître que j’écris d’abord pour me souvenir d’elle, et qu’en lui rendant la vie, la vie toute entière renaît »

« Quelle dérision de venir au monde pour voir la vie vous échapper ! »

Belle de jour – Joseph Kessel (1928)

Et si nous parlions d’un tiraillement entre le corps et le coeur ?

Sévérine et Pierre partagent un amour pur. Sévérine, femme bourgeoise et mondaine, voue une véritable adoration pour son époux. Médecin réputé et mari généreux, Pierre semble combler toutes les attentes de la jeune femme.

Pourtant des fantasmes obscurs sommeillent en Sévérine. Elle ne trouve pas une complète plénitude dans ce bonheur conjugal. Malgré leur amour, leur intimité charnelle ne parvient pas à éclore. Elle envisage de pousser la porte d’une maison close pour tenter d’apaiser son désir transgressif et enfoui. Jusqu’où cette quête sulfureuse va-t-elle la conduire ?

Avec une écriture tout en finesse et d’une grande qualité, Joseph Kessel s’immisce dans l’intimité d’un couple. Son regard masculin ne porte pas de jugement sur cette femme mais cherche à percer toute sa complexité. Une lecture troublante qui propose un portrait perfectible sur les femmes et la sexualité qu’il est nécessaire de contextualiser à l’époque de sa parution.

Ma note :

Note : 2.5 sur 5.

Citations :

« Elle s’abattit contre l’oreiller. Elle pleurait sur lui, sur elle, et sur la condition humaine qui divise la chair et l’âme en deux inconciliables tronçons, misère que chacun porte en soi et ne pardonne pas à l’autre »

« Le secret de son corps vivait seul alors comme ces fleurs singulières qui s’ouvrent pour quelques instants et reviennent ensuite à leur repos virginal ».

Belle du seigneur – Albert Cohen (1968)

Et nous partagions une prouesse romanesque ?

Tragédie amoureuse, Belle du seigneur nous emporte dans les méandres d’une histoire d’amour passionnée.

Quand Solal rencontre Ariane la force de l’attraction est indéniable. Pourtant Ariane est mariée à Adrien Deume, personnage arriviste et oisif prêt à tout pour réussir. Quand son employeur Solal pose son regard sur Adrien, il ne saisit pas que c’est sa femme qu’il convoite. Lumineuse Ariane, elle est tournoyante de beauté. Plus ténébreux et sombre, Solal est beaucoup plus énigmatique mais il est bien décidé à se lancer dans cette conquête amoureuse.

Pourtant leur passion ne sera pas éternelle, elle doit faire face à l’usure du quotidien et à l’ennui. Ariane et Solal n’auront de cesse de créer des artifices pour préserver une conception fantasmée de l’amour. Jusqu’où iront-ils pour sauver cet absolu amoureux ?

Au-delà de nous interroger sur nos conceptions des rapports passionnés, Albert Cohen jette un regard cynique sur la bureaucratie de la Société des Nations. Si la longueur de cette œuvre peut vous faire peur, ce roman est immensément riche. Il parvient à nous faire sourire mais également à susciter de profonds bouleversements dans nos réflexions.

Un immense classique de la littérature qui me laissera une marque indélébile.

Ma note :

Note : 5 sur 5.

Citations :

« Descendu de cheval, il allait le long des noisetiers et des églantiers, suivi des deux chevaux que le valet d’écurie tenait par les rênes, allait dans les craquements du silence, torse nu sous le soleil de midi, allait et souriait, étrange et princier, sûr d’une victoire. A deux reprises, hier et avant-hier, il avait été lâche et il n’avait pas osé. Aujourd’hui, en ce premier jour de mai, il oserait et elle l’aimerait ».

« Aimé, hier soir je lisais un livre et soudain je me suis aperçue que je ne comprenais rien et que je pensais à vous »

Les raisins de la colère – John Steinbeck (1939)

Et si nous parlions d’un chef-oeuvre humaniste ?

Avec les raisons de la colère, John Steinbeck nous transporte dans une épopée familiale émouvante et criante d’humanité.

Tout juste sorti de prison, Joah rejoint sa famille sur les modestes terres de l’Oklahoma. A son arrivée, il découvre que ses proches s’apprêtent à partir. Face à l’industrialisation croissante de l’Amérique, ils doivent quitter leurs terres agricoles pour l’ouest des Etats-Unis. Ils rêvent de la Californie, de terres libres et ensoleillées où l’ensemble de la famille pourra cultiver des fruits, trouver du travail et de la nourriture.

Pourtant cette traversée américaine sera rude et semée d’embuches. Si la Californie a un parfum d’Eldorado, la route est longue et les promesses de l’ouest incertaines. De route en route, la famille Joad rencontre d’autres fermiers contraints également à l’exil. Face à des conditions atroces, les gestes d’entraide et l’espoir demeurent. Cependant confrontés à l’injustice de leurs conditions la colère gronde. Jusqu’où les conduira ce périple ?

Monument de la littérature américaine, ce roman retraçant la Grande Dépression qui a frappé les Etats-Unis est à mettre entre toutes les mains. Dans un style brut et réaliste, John Steinbeck parvient à nous plonger totalement au coeur de cette famille. J’ai partagé leur voyage et je suis profondément marquée par ce témoignage social bouleversant. Un coup de coeur que je ne peux que vous recommander.

Ma note :

Note : 5 sur 5.

Coup de ❤

Citations :

« En route pour la Californie, ou ailleurs… Chacun de nous, tambour-major à la tête d’un régiment de peines, de douleurs, marchant le coeur plein d’amertume. Et un jour, toutes les armées des coeurs amers marcheront toutes dans le même sens. Et elles iront toutes ensemble et répandront une terreur mortelle ».

« Si vous qui possédez les choses dont les autres manquent, si vous pouviez comprendre cela, vous pourriez peut-être échapper à votre destin. Si vous pouviez séparer les causes des effets, si vous pouviez savoir que Paine, Marx, Jefferson, Lénine furent des effets, non des causes, vous pourriez survivre. Mais cela vous ne pouvez pas le savoir. Car le fait de posséder vous congèle pour toujours en « Je » et vous sépare toujours du « Nous » »

L’amour aux temps du choléra – Gabriel Garcia Marquez (1985)

Et si nous suivions le parcours d’un amoureux éconduit ?

Fermina et Florentino sont adolescents quand ils se rencontrent et débutent une idylle de jeunesse portée par une conception fantasmée de l’amour. Lorsqu’ils grandissent Fermina se détourne du jeune télégraphiste. Face aux élans poétiques et à l’aspect légèrement taciturne du jeune homme, Fermina remet en cause ses anciennes promesses d’amour éternel.

Si Florentino s’enivre dans des aventures scandaleuses, il ne se détourne jamais de ses sentiments passionnés pour la jeune femme. De son côté, Fermina épouse un brillant médecin et devient la femme de l’homme le plus reconnu de cette petite ville des Caraïbes.

Florentino demeure dans l’entourage lointain de Fermina, il la croise dans quelques évènements mondains et se promet de faire fortune bien décider à conquérir un jour le coeur qui lui a échappé. Lorsque le destin les réunit à nouveau, Fermina jettera-t-elle un seul regard sur ce fantôme du passé ?

Dans un pays dévasté par le choléra, Gabriel Garcia Marquez partage le quotidien d’une ville coupée du monde et décrit cette conquête amoureuse. Si ce classique est assurément bien écrit, je n’ai malheureusement pas été conquise. Je trouve que le personnage de Fermina a manqué de force dans un récit abordé sous un angle exclusivement masculin. La vision de la femme et les propos restent particulièrement dérangeants et je n’ai malheureusement pas été transportée. Si la consistance du sentiment amoureux de Florentino est indéniable, il n’a suscité pour moi aucune envolée.

Ma note :

Note : 2 sur 5.

Citations :

« Il était encore trop jeune pour savoir que la mémoire du cœur efface les mauvais souvenirs et embellit les bons, et que c’est grâce à cet artifice que l’on parvient à accepter le passé ».

« Il devait lui apprendre à considérer l’amour comme un état de grâce qui n’était pas un moyen mais une fin en soi »

J’ai épousé un communiste – Philip Roth (1998)

Et si nous comprenions une Amérique paranoïaque avec Philip Roth ?

Ira Ringold a créé un double médiatique, Iron Rinn. Vedette de la radio, il évolue dans un milieu privilégié et a épousé Eve Frame, une célèbre actrice du muet. Derrière ce rêve américain se cache un homme aux convictions politiques puissantes qui doit dissimuler son appartenance au parti communiste. Sa célébrité le protège des persécutions qui sévissent dans toute l’Amérique au cours des années 50.

Nathan Zuckerman, double littéraire de Roth, rencontre Ira. Fasciné par sa personnalité forte et ses valeurs, Nathan se rapproche d’Ira et devient son disciple. Face à une chasse aux sorcières de plus en plus omniprésente, les trahisons se multiplient et l’appartenance politique d’Ira menace d’être révélée. Jusqu’où cette politique américaine parviendra-t-elle à briser des destinées ?

Un roman érudit d’une grande intensité qui nous dévoile avec une grande acuité les vicissitudes du maccarthysme et toute la complexité et la noirceur d’une Amérique plongée dans la Guerre Froide. Je ne peux que vous recommander ce roman qui confirme la place fondamentale de Philip Roth dans la littérature américaine.

Ma note :

Note : 3.5 sur 5.

Citations :

« Pendant longtemps, la vie brûle, tout est tellement intense, et puis, peu à peu, la fièvre tombe, on refroidit, et puis viennent les cendres ».

« Quand on dévore des yeux la vitrine capitaliste, qu’on en veut toujours plus, qu’on a les doigts de plus en plus crochus, qu’on est de plus en plus avide, alors on acquiert, on possède, on accumule ; c’est la fin des convictions, et le commencement de la peur ».

Le maître des âmes – Irène Némirovsky (1939)

Et si vous consultiez un médecin sans scrupule ?

Installé à Nice avec sa femme, Dario est un jeune médecin ambitieux. Pourtant ses projets rencontrent l’obstacle de ses origines grecque et italienne. Cet étranger perçu comme un « métèque » n’inspire pas la confiance d’une clientèle bourgeoise du sud de la France.

Quand il devient père, l’urgence de s’établir en tant que médecin se fait de plus en plus pressante. Sa situation financière est si dramatique que Dario doit lutter pour sa survie et celle de sa famille. Acculé et affamé, il conclue un marché illégal en acceptant de pratiquer un avortement clandestin.

Ce premier pas illicite contribue à son basculement. Rongé par son arrivisme, il décide de détourner une théorie psychanalytique à son profit. En usant de propos savants et de son charisme, il parvient à susciter la confiance de ses patients. Génie illusionniste, il utilise la détresse et la crédulité des malades pour parvenir à une ascension sociale et financière. Devenu riche et célèbre, son élévation machiavélique connaîtra-t-elle une fin ?

Dans ce roman très bien mené, Irène Némirovsky interroge la rage d’un homme. Profondément meurtri par son statut d’immigré, Dario a soif de revanche sur sa condition. L’humiliation qui le ronge le transformera en un homme corrompu et froid. Porté par une plume maîtrisée et grinçante, ce roman est une belle réussite.

Ma note :

Note : 4.5 sur 5.

Citation :

« Le désir des femmes l’envahissait parfois brusquement, aux instants les plus durs de son existence, comme si toute la lie, au fond de son âme, remontait alors à la surface ».

« Le départ avait toujours été pour lui le seul remède souhaitable. Là où d’autres travaillent davantage ou cherchent l’oubli dans le vin ou les femmes, il rêvait de trains rapides et de villes étrangères, sachant bien qu’il n’y trouverait que malheur et misère, mais une autre misère, sans doute. C’était déjà cela de gagné »

Soie – Alessandro Baricco (1996)

Et si nous partions au Japon ?

En quelques lignes, Alessandro Baricco façonne un récit marquant mêlant amours et aventures tumultueuses au coeur du Japon.

Vers 1860, Hervé Joncour mène une vie paisible en France. Niché au coeur des monts du Vivarais, il est spécialisé dans la fabrication et le commerce de la soie.

Lorsque les vers de soie, ravagés par une épidémie, viennent à manquer il doit s’embarquer dans un périlleux voyage jusqu’au Japon. Ce pays lointain et méconnu lui promet d’acquérir des oeufs remarquables et lui donne accès à une soie d’une qualité unique. Au-delà de ce commerce, ces voyages successifs au Japon vont permettre à Hervé de découvrir une toute nouvelle culture. Il va rencontrer le regard énigmatique et mystérieux d’une jeune fille qui va profondément le perturber. Jusqu’où ces voyages exotiques le conduiront-ils ?

Avec une maîtrise narrative et stylistique indéniable, Alessandro Baricco parvient à créer un court récit intense et énigmatique. Avec beaucoup de subtilité, il nous emporte dans un Japon évanescent et érotique. Un très beau moment de littérature que je ne peux que vous recommander.

Ma note :

Note : 4 sur 5.

Citations :

« Il racontait avec douceur, regardant dans l’air des choses que les autres ne voyaient pas ».

« Parfois, les jours de vent, Hervé Joncour descendait jusqu’au lac et passait des heures à regarder, parce qu’il lui semblait voir, dessiné sur l’eau, le spectacle léger, et inexplicable, qu’avait été sa vie »

« Elle pleuvait, sa vie, devant ses yeux, spectacle tranquille »

Le Sagouin – François Mauriac (1947)

Et si nous parlions d’un roman imprégné d’humanité ?

Le petit Guillou est un fils rejeté par sa mère, Paule. Elle le perçoit comme un être dégénéré incapable de la moindre vivacité d’esprit. Cet enfant incompris est le terrible reflet de son père, un être insignifiant que sa femme juge imbécile. Ce mari erre et s’occupe d’un cimetière sans donner de sens à sa vie. Pourtant, Paule s’est mariée avec Galéas de Cernès il y a treize ans afin d’obtenir le titre honorifique de baronne. Ce statut elle ne l’obtiendra pas car il n’existe qu’une seule baronne, sa belle-mère. Les relations entre les deux femmes sont électriques et Madame la Baronne voue une haine farouche à sa belle-fille. S’agissant de son fils même si elle ne dit mot, elle perçoit toute sa médiocrité.

Lorsqu’un nouveau professeur s’installe dans le village, Paule voit l’opportunité de lui confier son fils. L’instituteur a la réputation d’être un fervent communiste. Madame la Baronne est outrée par ce rapprochement qui jette le discrédit sur toute la famille. Jusqu’où l’humiliation perpétuelle d’un fils et de son père les conduiront-ils ?

Avec justesse, François Mauriac explore le désamour maternel. Il nous dresse un portrait criant d’humanité d’un être sensible à l’écart du monde et soumis au regard intraitable de sa mère. En quelques pages, il parvient avec brio à explorer ce drame familial et à donner un véritable relief à ses personnages.

Ma note :

Note : 5 sur 5.

Citations :

« Ce que Paule voyait, quand elle pensait à son fils, c’étaient des genoux cagneux, des cuisses étiques, des chaussettes rabattues sur les souliers. À ce petit être sorti d’elle, la mère ne tenait aucun compte de ses larges yeux couleur de mûres, mais en revanche elle haïssait cette bouche toujours ouverte d’enfant qui respire mal, cette lèvre inférieure un peu pendante, beaucoup moins que ne l’était celle de son père, mais il suffisait à Paule qu’elle lui rappelât une bouche détestée »

« Comme on dit «faire l’amour», il faudrait pouvoir dire «faire la haine». C’est bon de faire la haine, ça repose, ça détend ».

Moins que zéro – Bret Easton Ellis (1985)

Et si nous contemplions une décadence californienne ?

Issu d’une famille aisée, Clay revient à Los Angeles auprès de ses proches pour les fêtes de fin d’année. Il est parti depuis quelques mois pour faire ses études supérieures dans le New-Hampshire. La distance avec sa famille ne semble pas l’affecter tant Clay est désabusé.

De retour dans sa ville natale, il revoit sa petite amie Blair et sa bande de copains. Pourtant ces retrouvailles ne semblent pas l’émouvoir et il essaye de noyer sa solitude dans l’alcool, la drogue ou les fêtes. Ses parents accaparés par leurs carrières sont bien inexistants et le laisse dans un luxe peuplé des pires excès. Malgré ces abus il n’arrive pas à combler le vide de son existence. Jusqu’où cette décadence le conduira-t-il ?

Sous les traits de Clay, c’est toute une jeunesse américaine dorée et désabusée que nous contemplons. Si j’ai aimé la plume acérée et cynique de Bret Easton Ellis, je n’ai pas retrouvé le génie d’un Bukowski ou d’un Fante. J’ai globalement apprécié cette lecture malgré une légère lassitude.

Ma note :

Note : 2.5 sur 5.

Citations :

« La piste de danse est couverte de gens, presque tous sont jeunes, presque tous s’ennuient, presque tous essaient de montrer qu’ils s’amusent ».

« On peut disparaitre ici sans même s’en apercevoir ».