Kairos – Jenny Erpenbeck (2025)

Et si nous étions transportés par une passion destructrice ?

Un soir d’été 1986, dans une Allemagne encore morcelée par la guerre froide, Katharina rencontre Hans, un homme marié.

Jeune étudiante, elle est immédiatement fascinée par la prestance de cet écrivain plus âgé qui l’éblouit par son érudition. Sans hésiter, Katharina entame une liaison passionnée, malgré leur différence d’âge et le refus de Hans de quitter sa femme. Envoûtée, elle se plie aux exigences et aux désirs de cet homme. L’intensité de leur amour laisse peu à peu place à des mécanismes insidieux d’emprise et de domination. Leur relation idyllique vacille, tout comme l’Allemagne de l’Est. Katharina et Hans assistent au lent déclin de la RDA jusqu’à la chute du Mur, dérivant eux aussi dans cet amour tortueux. Jusqu’où ce basculement politique et amoureux les conduira-t-il ?

En mêlant le politique et l’intime, Jenny Erpenbeck propose de démêler les ressorts du pouvoir. J’ai aimé l’imbrication perpétuelle entre le contexte historique et l’évolution de cet amour dévorant. Cependant, une atmosphère malsaine imprègne tout le roman et met en lumière une relation dérangeante, faite d’humiliation et de contrôle.

Ma note

Note : 2.5 sur 5.

La petite-fille – Bernhard Schlink (2023)

Et si l’amour pouvait tout réconcilier ?

Kaspar, un septuagénaire passionné de littérature tient une modeste librairie à Berlin. Suite au décès soudain de Brigit sa femme, Kaspar découvre dans son bureau l’ébauche d’un roman. Entre les lignes, les secrets de Brigit se dévoilent. Il découvre qu’elle a abandonné sa fille lors de sa naissance avant de prendre la fuite pour l’Allemagne de l’Ouest avec lui.

Cette fille inconnue, élevée dans l’Allemagne de l’Est, offre la possibilité pour Kaspar d’avoir une famille. Il décide de reconstruire le passé de Brigit et de retrouver l’enfant perdu de la RDA. Sa quête le mène jusqu’à sa petite-fille par alliance, Sigrun. Cette adolescente à la chevelure de feu redonne à Kaspar une toute nouvelle vitalité. Il va se jeter dans cette nouvelle relation pleine de promesses et lui faire partager son amour pour l’art et la culture.

Cependant, Sigrun a depuis toujours évolué dans un milieu bien différent des valeurs de Kaspar. Fervente antisémite et négationniste, Sigrun glorifie des idéaux glaçants. Une relation pourra-t-elle se tisser entre eux malgré tout ce qui les oppose ?

Dans ce roman émouvant, Bernhard Schlink convoque le passé d’une Allemagne morcelée. J’ai beaucoup aimé cette oeuvre, le personnage de Kaspar tout en pudeur suscite énormément de tendresse. La relation qu’il noue avec sa petite-fille m’a profondément émue.

Ma note

Note : 4 sur 5.

Citations

« Quand j’écoute Bach, j’ai le sentiment que la musique contient tout, le léger et le lourd, le beau et le triste, et qu’il les réconcilie ».

« Il fit une pause. Devait-il ajouter qu’il était fier d’elle?
Mais il voyait venir l’échange où elle se dirait fière d’etre une Allemande, et il répondrait qu’on ne peut pas être fier de ce qu’on est, mais seulement de ce qu’on a le mérite d’avoir fait, et il n’avait certes pas mérité Sigrun. II décida aussi de ne pas lui dire qu’il était heureux qu’elle soit sa petite-fille; soit il lui manifesterait ce bonheur et elle le remarquerait en de nombreuses situations, et alors il n’aurait pas besoin de l’exprimer, soit l’exprimer ne servirait à rien là où il échouerait à le manifester et à le lui faire remarquer. Il ne souhaitait pas avoir d’autre petite-fille, il avait trouvé celle-ci et voulait la garder. »

Narcisse et Goldmund – Hermann Hesse (1930)

Et si nous choisissions l’expérience vagabonde ?

Avec ce roman d’apprentissage, nous découvrons Narcisse et Goldmund, deux êtres opposés reliés par une intense amitié.

Jeune homme inexpérimenté, Goldmund est confié à des religieux par son père. Bien vite, sa nature ne semble pas le guider vers cette existence pieuse à laquelle son père l’avait destiné. Durant son séjour au sein du cloître, il fait une rencontre décisive et se lie à son professeur, Narcisse.

Au fil des années, les caractères des deux hommes se dessinent avec plus de précisions. Narcisse, penseur, choisit une vie pieuse et ascétique tandis que Goldmund, l’artiste, est appelé par les désirs de la chair et par l’expérience vagabonde. Sur les routes Goldmund découvre une vie errante peuplée de femmes et d’aventures qui le mène jusqu’à sa vocation de sculpteur, tandis que Narcisse se mure dans le silence du cloître. Malgré leurs choix opposés, l’amitié profonde qui les lie reste inébranlable.

Avec ce roman intense, Hermann Hesse construit deux personnages forts et contrastés, l’un recherchant le beau, l’autre la spiritualité. Narcisse et Goldmund vont mener une véritable quête identitaire entre leur nature et leur force spirituelle et artistique. Par le roman, Hermann Hesse ouvre d’autres portes sur le monde celles de profondes réflexions philosophiques.

Déjà ensorcelée par le Loup des steppes, Narcisse et Goldmund confirme mon enthousiasme pour la somptueuse plume de Hermann Hesse.

Ma note :

Note : 5 sur 5.

Citations :

« La seule chose qui restait réelle et active, c’était la vie au fond de lui-même : le martèlement anxieux de son coeur, l’aiguillon douloureux du désir, les joies et les angoisses de ses rêves »

« Il se disait que lui-même, comme tous les hommes, s’écoulait, se transformait sans cesse pour se dissoudre enfin, tandis que son image créée par l’artiste resterait immuablement la même et pour toujours ».

« La vie était belle, beau et fugitif le bonheur, belle et si vite fanée la jeunesse ».

« C’était ainsi, les impressions tristes passaient comme les autres, la douleur, le désespoir passaient comme la joie, ils s’atténuaient, pâlissaient, perdaient leur profondeur et leur prix, et à la fin, un jour venait où on ne pouvait plus retrouver ce que c’était qui vous avait fait, jadis, tant de peine »

Olga – Bernhard Schlink (2018)

Et si nous évoquions la destinée d’une femme ?

Olga, sous son apparence modeste, est une femme forte et déterminée.

Orpheline, Olga grandit auprès de sa grand-mère qui n’a pour elle que de l’indifférence. Dès son jeune âge, elle fait la connaissance de Herbert, le fils d’un riche industriel. Malgré les mondes différents qui les opposent, ils nouent au fil des années une relation profonde.

Mais au-delà de cet amour, Olga a une soif de vivre pour elle-même et surtout d’apprendre. Elle poursuit ses études jusqu’à devenir enseignante. Herbert est guidé, pour sa part, par des rêves plus immenses que lui-même. Son goût de l’aventure le mène jusqu’à poursuivre une expédition en Arctique.

Entourée par l’ombre grandissante de la guerre mondiale, Olga se retrouve seule et continue, avec beaucoup de force, à construire son destin.

Ce livre fonctionne en trois actes. Tout d’abord, Bernhard Schlink nous dévoile la jeunesse d’Olga et sa très belle histoire d’amour avec Herbert. Puis, il nous présente une toute autre partie de sa vie. Devenue une femme mûre, elle oscille entre son accomplissement personnel et ses souvenirs. Enfin, les lettres d’Olga adressées à Herbert durant son expédition polaire, font ressurgir, presque intact, un amour inassouvi.

Un récit imprégné par l’histoire de l’Allemagne mais qui évoque également, avec une grande sensibilité, le destin d’Olga, cette femme insoumise.

Avec une plume belle et limpide, Bernhard Schlink dresse le portrait d’une femme imprégnée par son époque. Un roman d’un grand raffinement !

Ma note :

Note : 4 sur 5.

Citations :

« Enfin elle put lire tout ce qu’elle avait toujours voulu lire: des classiques et des modernes, des romans et des poèmes, des livres sur l’histoire des femmes, celle des aveugles, des sourds-muets, sur l’empire et sur la république de Weimar, des partitions de musique qu’elle avait jouées à l’orgue, et aussi de la musique qu’elle aurait aimé jouer.»

« Parfois j’ai eu pitié de moi, qui ai grandi sans amour et qui, même avec toi, n’ai pu vivre son amour que tant bien que mal. Maintenant je pense aux soldats morts par milliers et à leurs vies qu’ils n’ont pas vécues, aux amours qu’ils n’ont pas vécues, et cela m’ôte tout apitoiement sur moi-même. Reste la tristesse. »

Le loup des steppes – Hermann Hesse (1927)

Et si nous évoquions un conte philosophique ?

Avec « Le loup des Steppes », Hermann Hesse nous interroge sur la complexité de l’âme humaine.  Thomas Mann écrivait à propos de cet ouvrage « Ce livre m’a réappris à lire ». Multipliant les registres, ce récit profondément inventif et fou donne à réfléchir.

Harry Haller intègre une pension bourgeoise et étonne sa nouvelle logeuse et son neveu. Derrière son apparente politesse, Harry cache un semblant de moquerie face au monde. Sa chambre débordante de livres est hors du temps. Il a fait le choix de s’intéresser strictement à l’intellect et s’évertue, chaque jour, à rester couper du monde.

Il se désigne lui-même comme « un loup des steppes » et revendique une double personnalité. Derrière l’homme poli qui s’est adapté au monde et semble presque rassuré par un milieu bourgeois qu’il exècre se cache un loup. Solitaire, l’animal en lui réprouve les hommes et s’isole. Face à ce conflit intérieur, une seule issue semble viable : la mort. 

Harry Haller oscille entre l’envie de mettre fin à ses jours et la peur de la mort. Errant dans la ville avec ses idées noires, il fait la connaissance d’Hermine, une femme énigmatique et splendide qui le pousse dans ses retranchements. Véritable homologue féminine, elle bouleverse son existence et l’initie à la vie.

Au-delà d’un simple roman, ce traité touche presque au récit philosophique. Ainsi, Hermann Hesse aborde, avec une profonde justesse, la conception erronée de l’unité humaine. L’illusion que l’homme ne fait qu’un serait vouée à l’échec. Ainsi, l’homme se composerait plutôt d’une diversité d’âmes bien distinctes. La dichotomie de l’âme d’Harry entre l’homme et le loup semble ainsi bien simpliste. Finalement, l’humain s’avèrerait bien plus complexe et polymorphe.

J’ai beaucoup aimé la densité de ce texte audacieux, véritable base de réflexion existentialiste, il pousse à l’introspection.

Ma note :

Note : 5 sur 5.

Coup de ❤

Citations :

« Etait-il même possible qu’un tel bonheur, fugace, mais intense, éprouvé en de rares occasions, absorbât tous les maux et représentât une richesse supplémentaire ? »

« En tant que corps, chaque homme est un ; en tant qu’âme, il ne l’est jamais »

« Vous devez vivre et apprendre à rire. Vous devez apprendre à écouter cette satanée musique radiophonique de la vie, à vénérer l’esprit qui transparaît derrière elle, à vous moquer de tout le tintamarre qu’elle produit. C’est tout ; on ne vous en demande pas plus »

Les souffrances du jeune Werther – Goethe (1774)

Lamartine écrivait à propos de ce grand classique :

« Je me souviens de l’avoir lu et relus dans ma première jeunesse… Les impressions que ces lectures ont faites sur moi ne se sont jamais effacées ni refroidies. La mélancolie des grandes passions s’est inoculée en moi par ce livre. J’ai touché avec lui au fond de l’abîme humain… Il faut avoir dix âmes pour s’emparer ainsi de celle de tout un siècle »

Goethe a donné naissance à Werther, personnage incontournable de la littérature classique.

Dans ce roman épistolaire, Werther, un jeune homme issu de la bourgeoisie, raconte à un ami intime la naissance de ses sentiments pour Charlotte. Cette femme est une véritable perfection tant par ses qualités d’âme que par son inégalable beauté. Durant un bal, elle charme profondément Werther.

Pourtant, très rapidement, Werther apprend que la jeune femme est fiancée à Albert. Peu à peu, un triangle amoureux se tisse entre eux où se mélange profonde affection, amitié et jalousie.

Au fil de ses lettres, Werther décrit l’évolution de sa passion grandissante pour Charlotte. Très vite, son amour se transforme en véritable tragédie…

Dans la seconde partie de l’ouvrage, l’éditeur devient le narrateur et peut décrire avec un nouveau regard la chute dramatique de son héros.

Classique du romantisme allemand, cette oeuvre est passionnante par le lyrisme poétique qui se dégage de la plume de Goethe. L’écriture est sans nul doute magistral.

Même si nous ne sommes plus accoutumés aux emphases romantiques, j’ai aimé découvrir cette littérature classique précurseuse des oeuvres de Chateaubriand, Musset, Victor Hugo ou encore Vigny.

Ma note :

Note : 4.5 sur 5.

Citations : 

« Il règne dans mon âme une étonnante sérénité, semblable à la douce matinée de printemps dont je jouis avec délices »

« Quelquefois, je ne puis comprendre comment un autre peut l’aimer, oser l’aimer, quand je l’aime si uniquement, si profondément, si pleinement, quand je ne connais rien, ne sais rien, n’ai rien d’elle ! »

« Qu’est-ce que l’homme, ce demi-dieu si vanté ? Les forces ne lui manquent-elles pas précisément à l’heure où elles lui seraient le plus nécessaires ? Et lorsqu’il prend l’essor dans la joie, ou qu’il s’enfonce dans la tristesse, n’est-il pas alors même retenu, et toujours ramené à la morne et froide conscience de sa petitesse, alors qu’il espérait se perdre dans l’infini ? »

Amours en fuite – Bernhard Schlink (2000)

Vous connaissez sans doute Bernhard Schlink, célèbre écrivain allemand qui avait publié en 1995, le roman « Le liseur »ce livre incontournable qui nous raconte le destin d’Hanna et à travers son regard celui de l’histoire.

Ce livre m’avait profondément marquée. Je vous invite à vous jeter sur ce roman si ce n’est pas déjà fait…

Alors quand j’ai découvert lors de mes errances littéraires, ce recueil de nouvelles de Bernhard Schlink intitulé « Amours en fuite », j’ai forcément été happée.

Ce recueil articulé autour de sept nouvelles nous raconte le parcours de sept hommes mais surtout des rencontres avec des femmes courageuses, lucides, hors du commun, rêvées ou ancrées dans le réel…

Qu’il s’agisse de la petite fille au lézard figure d’un tableau familial qui n’a de cesse d’obséder et de fasciner le narrateur. Cette oeuvre conservée dans le bureau de son père et représentant une jeune fille au lézard bouleverse son fils depuis sa tendre enfance. Ce tableau semble cacher tous les secrets de famille et cet homme tentera de découvrir ce qui se cache derrière ce portrait énigmatique.

Qu’il s’agisse de cette femme communiste et révolutionnaire, vivant dans un Berlin Est meurtri et en quête de liberté qui rencontrera un berlinois de l’Ouest. Leur relation nous transportera dans un trio amoureux rempli de trahisons et d’engagements politiques…

Ou encore de cette femme que le narrateur connaissait depuis toujours, marié à elle depuis des années il croyait la connaître par coeur. Et pourtant… A sa mort, il découvrira la face cachée de cette épouse qui lui semblait si transparente mais surtout cet autre qui n’est pas lui…

Et ces femmes au fort tempérament qui ont jalonné la vie d’un homme infidèle qui a jonglé avec plusieurs vies et a fini par s’étourdir…

Ou bien la femme de la station-service, femme chimérique qui semble pouvoir faire tout basculer dans la vie d’un homme…

Chacun des personnages masculins semble se débattre avec ses silences, ses secrets et ses mensonges.

Des nouvelles profondément humaines qui viennent retracer le destin de ces hommes et de ces femmes qui se rencontrent, s’aiment ou se croisent dans une Allemagne marquée par la guerre et la Shoah.

J’ai apprécié ce recueil que je ne peux que conseiller aux amateurs de nouvelles.

La densité de certains récits pourrait même les transformer en romans. Pour ma part, j’ai passé un agréable moment avec une envie de prolonger certaines nouvelles…

Un recueil que je n’ai pas trouvé aussi bouleversant que le roman « Le liseur » mais dont la qualité littéraire et la force narrative demeurent très intéressantes.

Ma note :

Note : 3 sur 5.

Citations :

« Il ôta les rides du visage de Sarah pour retrouver son visage d’enfant. Il le contemplait avec bonheur, lorsqu’une vague de jalousie l’envahit. Jamais il ne connaîtrait Sarah dansant pour la première fois, montant pour la première fois à bicyclette ou découvrant la mer. Son premier baiser, sa première étreinte, c’étaient d’autres qui les avaient eus ; et dans les rituels de sa famille et de sa religion elle avait un monde et un trésor qui lui seraient toujours fermés ».

« Le pire, ce serait qu’un jour les garçons épousent une femme qui ne soit pas juive. Il ne sut que dire ni que penser. Ce que Rachel venait de dire, était-ce la même chose que si, pour lui, le pire avait été que son fils épouse une femme qui ne soit pas allemande, pas aryenne, une Juive, une Noire ? Ou bien s’agissait-il uniquement de religion ? »

 « A quel moment est-on obligé de s’avouer qu’une dispute n’est pas une simple dispute ? Qu’elle n’est pas un orage après lequel le soleil brille à nouveau, ni une saison pluvieuse à laquelle succédera le beau temps, mais le mauvais temps normal ? Que se réconcilier ne résout rien, ne règle rien et ne fait que traduire l’épuisement et instaurer un répit plus ou moins long, au terme duquel la dispute reprendra ? »

 « Peut-on tomber amoureux de l’autre une seconde fois ? Est-ce qu’on ne le connait pas beaucoup trop bien ? Tomber amoureux ne suppose-t-il pas qu’on ne connaisse pas l’autre, qu’il ait encore des plages blanches sur lesquelles on puisse projeter ses propres désirs ? »