Le lambeau,
- Morceau d’étoffe, de papier, de matière souple, déchiré ou arraché, détaché du tout ou y attenant en partie.
- Par analogie : morceau de chair ou de peau arrachée volontairement ou accidentellement. Lambeau sanglant ; lambeaux de chair et de sang. Juan, désespéré, le mordit à la joue, déchira un lambeau de chair qui découvrait sa mâchoire (Borel, Champavert, 1833, p. 55)
- Chirurgie : segment de parties molles conservées lors de l’amputation d’un membre pour recouvrir les parties osseuses et obtenir une cicatrice souple. Il ne restait plus après l’amputation qu’à rabattre le lambeau de chair sur la plaie, ainsi qu’une épaulette à plat (Zola, Débâcle, 1892, p. 338). (Définitions extraites du Trésor de la Langue Française) »
La quatrième de couverture de l’œuvre de Philippe Lançon nous décrit ce lambeau. Ce déchirement d’un morceau de chair qui a fait basculer la vie d’un des rescapés de l’attentat de Charlie Hebdo.
Le 7 janvier 2015, Philippe Lançon assiste à la première conférence de rédaction de l’année dans les locaux de Charlie Hebdo. Trois balles des assaillants l’atteindront gravement au niveau de sa mâchoire.
Avant tout, Philippe Lançon nous livre dans cet ouvrage, l’histoire d’une nouvelle naissance et d’une reconstruction. Ainsi, il sera pris en charge pendant quatre mois à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière puis six mois, en rééducation, aux Invalides.
Nous suivons un parcours hospitalier rude et intense. Nous alternons entre un récit lent décrivant avec finesse ce temps hospitalier et des passages plus vifs accompagnés de retour en arrière, sur son ancienne vie, devenue si étrangère.
Sa rencontre avec sa chirurgienne, Chloé, au cœur du roman, nous dévoile la force des liens hospitaliers qui le ramèneront progressivement vers une autre vie.
Lançon choisit de nous livrer sa métamorphose avec une force et une extrême sincérité. Il a rejeté tout pathos, toute mélancolie et a proscrit le ton larmoyant dans ce récit d’une épreuve inimaginable. Lançon nous livre également sa vie, son parcours, ses références, son entourage, ses amis…
Cette mise à nu nous révèle la vérité brute d’un parcours de soin.
En définitive, Lançon parle-t-il finalement de l’attentat de Charlie Hebdo ? Non, ce livre est dédié au milieu hospitalier, à cette réhabilitation du corps et de l’âme, à son parcours entre deux mondes, entre la vie et la mort.
Un livre important sur le parcours d’un homme qui a traversé l’indéfinissable.
Finalement, c’est au travers des mots et de l’écriture que Philippe Lançon a peut-être trouvé, en partie, le pouvoir d’accéder à la résilience.
Miroir du lambeau, cette résilience en psychologie est « le phénomène permettant de revenir d’un état de stress post-traumatique » Mais c’est aussi :
- En écologie, « la capacité d’un écosystème, d’une espèce ou d’un individu à récupérer un fonctionnement ou un développement normal après avoir subi une perturbation » ;
- En économie, « la capacité à revenir sur la trajectoire de croissance après avoir encaissé un choc » ;
- En physique, « propriété qui caractérise l’énergie absorbée par un corps lors d’une déformation » ;
Ma note :
Citations :
« Notre enfance commune, nos vacances, nos fêtes, nos blagues à deux balles, nos déjeuners rapides et réguliers dans un restaurant chinois situé sur l’avenue de la République où nous mangions toujours exactement la même chose, les mille et un liens qui nous tenaient sans que nous y pensions, tout ne semblait avoir eu lieu que pour aboutir là, dans cette salle de réveil, premier cadre de l’épreuve qui nous attendait »
« Toute mon enfance si pâle et tous les moments qu’il nous avait donnés apparaissaient pour disparaître et j’ai senti de nouveau, mais avec une force inédite, qu’on mourait un nombre incalculable de fois dans une vie, des petites morts qui nous laissaient là, debout, pétrifiés, survivants, comme Robinson sur l’île qu’il n’a pas choisie, avec nos souvenirs pour bricoler la suite et nul Vendredi pour nous aider à la cultiver »
« Je ne pouvais pas éliminer la violence qui m’avait été faite, ni celle qui cherchait à en réduire les effets. Ce que je pouvais faire en revanche, c’est apprendre à vivre avec, l’apprivoiser, en recherchant, comme disait Kafka, le plus de douceurs possible »