Divorce à Buda – Sándor Márai (1935)

Et si nous assistions à un duel ?

Maître du huis clos, Sándor Márai nous propose une rencontre nocturne entre deux hommes. Le premier Kristof Kömives est juge, il évolue dans une vie millimétrée et étriquée. L’autre, Imre Greiner est médecin et il semble bien plus fantasque.

Kristof Kömives est installé avec sa famille à Buda. Il a pour habitude de respecter les règles en essayant d’inculquer à ses enfants des valeurs où émanent une grande rigidité. Lorsqu’il doit instruire une demande en divorce où le nom du médecin apparaît, il voit ressurgir brusquement des souvenirs enfouis de leur jeunesse commune. Il a notamment connu sa femme, une certaine Anna Fazekas. Si l’image de la jeune femme s’est effacée avec le temps, elle ne demande qu’à ressurgir.

Cette affaire de divorce qui le confronte à son passé va ébranler son implacable sévérité. Quand en pleine nuit, Imre Greiner réapparait dans sa vie et lui révèle de terribles secrets, le juge vacille complètement.

Un récit fort qui questionne l’ambivalence du sentiment amoureux et révèle toute la nostalgie des amours enfouis. J’ai trouvé que l’intrigue met du temps à se mettre en place. Malgré ce bémol, je reste toujours admirative de la plume de Sándor Márai qui parvient à construire une atmosphère mystérieuse et unique autour de ses personnages.

Ma note :

Note : 2.5 sur 5.

Citations :

« Aimer, c’est peut-être vivre au même rythme. Un hasard extraordinaire, comme la rencontre, dans l’univers, de deux planètes composées de la même matière, évoluant sur la même orbite, possédant la même atmosphère. Un hasard sur lequel on ne peut pas compter. Peut-être n’existe-t-il même pas… Ai-je jamais vu quelque chose de semblable ? Oui, peut-être… très rarement… et je n’en suis pas sûr. Vivre, aimer au même rythme, aimer les mêmes plats, la même musique, marcher d’un même pas dans la rue, se chercher au même rythme dans un lit… oui, c’est cela… peut-être… Comme cela doit être rare ! Un vrai phénomène… Il y a, je crois, quelque chose de mystique dans de telles rencontres »

« Mais qu’est-ce que ça veut dire au juste : « aimer quelqu’un » ? J’ai cru longtemps que c’était connaitre l’autre « pleinement », connaitre chacun des réflexes de son corps, toutes les vibrations de son âme… voilà, connaitre, c’est peut-être aimer ».

Le premier amour – Sándor Márai (1928)

Et si nous parlions d’un huis clos mélancolique ?

Un professeur asocial choisit comme destination de vacances une station thermale triste et dépeuplée. Depuis plusieurs années, il n’a pas quitté son appartement niché dans une petite ville hongroise.

Afin de sortir de son quotidien et surtout de lui-même, il décide de séjourner dans cette station qu’il avait connu dans sa jeunesse et qui n’a fait que péricliter avec le temps. Ce séjour brise ses habitudes et lui permet de rencontrer Àgoston Timár, un secrétaire bien mystérieux venu de Budapest. S’il juge tout d’abord l’homme grossier, il finit par voir en lui un confident.

Transformé inconsciemment par cette rencontre, il débute une nouvelle année scolaire et retrouve sa vie étriquée de Province. Pourtant, le taciturne professeur de latin s’enlise en proie à de profonds bouleversements intérieurs…

Sous forme d’un journal intime, Sándor Márai dresse le portrait d’un personnage au mal-être abyssal. Rongé par la solitude, il est passé à côté de sa vie. La prise de conscience de son existence ratée le fait vaciller jusqu’à lui faire perdre complètement pied.

Premier roman de Sándor Márai, ce récit fort évoque avec justesse le poids de la solitude et de la vieillesse. J’ai beaucoup aimé ce texte qui présente déjà la quintessence de la plume de cet écrivain hongrois énigmatique.

Ma note :

Note : 3 sur 5.

Citations :

« Ce qui m’intéresse c’est l’autre solitude : celle qui est comme la gale, qui se lit dans le regard, se trahit dans la démarche et les mouvements, qui marque la peau ».

« Je ne crois pas à la fatalité. L’homme fabrique lui-même sa vie »

« Je suis triste. Pourquoi ? Pour qui ? Je suis incapable de le dire. C’est une tristesse tellement paisible, tellement calme. Il y a quelque chose en elle qui fait du bien. Elle envahit tout. Je dors tristement. Je mange tristement. C’est comique mais c’est ainsi. Que faire ? Je suis triste quand je suis au milieu des gens. Et triste quand je rentre chez moi. Pas « désespéré », pas « indifférent », pas « las de vivre ». Non. Triste. Que m’arrive t-il ? (…) Cette tristesse est un sentiment étrange et paisible. Elle contient comme une attente sceptique. Ma journée tout entière en est remplie. Quand on me demande « comment allez-vous ? », impossible de répondre : « Je suis triste. » Ce n’est pas une réponse. Mais c’est la vérité. C’est pourquoi je l’écris ici ».

La soeur – Sándor Márai (1946)

Et si nous partions dans l’obscurité avec Sándor Márai ?

En plein hiver sous la seconde guerre mondiale, sept protagonistes se réunissent dans une auberge de haute montagne. Parmi ces hôtes, nous découvrons un couple de bourgeois, des chasseurs, un homme solitaire et un célèbre pianiste qui a brutalement mis un terme à sa carrière.

Ce séjour sera l’occasion de revenir sur la vie de cet artiste. Le pianiste transmet au narrateur un manuscrit et lui révèle pourquoi il a cessé de jouer. En 1939, il est hospitalisé brusquement à Florence. Ravagé par une maladie inexpliquée, sa vie semble sans issue et synonyme d’intense souffrance.

Tandis que la guerre fait rage, le temps est comme suspendu dans sa chambre d’hôpital. Cet homme est placé hors du monde faisant face, impuissant, à une lente et sombre maladie. Sa vie d’artiste, son parcours amoureux et son existence sont anéantis sous le poids de sa terrible souffrance. Entre hallucinations et prise de médicaments, l’artiste vit cloisonné. Les religieuses et les médecins se dressent autour de lui, comme des ombres aussi rassurantes qu’inquiétantes, et contribuent à l’angoisse de ce huis clos.

Ce roman profondément noir décrit avec acuité l’intangible souffrance d’un homme et sa prise d’opiacé. Même si ce livre difficile laisse un sentiment d’oppression et d’angoisse, je ne peux que saluer la plume incommensurable de Sándor Márai qui nous plonge dans les profondeurs des souffrances humaines.

Ma note :

Note : 3.5 sur 5.

Citations :

« Comment espérer, comment croire que de grandes nations puissent se comprendre, et vivre en paix sur terre les unes à côté des autres alors que certains individus se sacrifient d’une façon aussi désespérée et irrationnelle à des passions et des émotions insensées ? »

« Je m’attelais à la maladie, comme à une quelconque tâche, un voyage aventureux ou un travail dont on ne mesurerait pas les véritables difficultés dès le début. La seule chose que je devinais était que cette tâche allait se révéler compliquée et longue à accomplir. »

L’héritage d’Esther – Sándor Márai (1939)

Et si nous faisions la rencontre d’Esther ?

Avec ce bref récit, Sándor Márai plonge avec délice le lecteur dans un huit clos envoûtant où se mêle quête de souvenirs, silences et non-dits.

Esther est une vieille femme pleine de sagesse et d’une extrême douceur. Elle vit recluse dans une maison retirée. Solitaire, elle regarde avec mélancolie son passé où demeure immobile un homme qui a bouleversé son existence.

Des années après leur dernière rencontre, Lajos lui adresse une lettre lui annonçant sa venue. Esther est comme plongée à nouveau dans cette histoire d’amour inachevée. Lajos sait manier les mots et évolue avec son charisme naturel. Malgré son absence de morale, Esther a été conquise dès la première seconde par cet homme insaisissable et reste soumise à son pouvoir des années plus tard…

Conquise par l’écriture cristalline et vive de Sándor Márai, ce roman nous dévoile en quelques lignes la psychologie des personnages et parvient aussi à préserver le mystère de leur relation jusqu’à la dernière ligne. Un récit court et intense qui témoigne à nouveau du talent de Sándor Márai et dont j’aurai aimé prolonger la lecture…

Ma note :

Note : 4.5 sur 5.

Citations :

« Alors que nous étions assis sur le banc de pierre, je compris brusquement – et de façon désespérante – qu’il vient un moment où l’on ne peut plus rien « réparer » »

« On peut passer sa vie à taire l’essentiel. Quelquefois même, on en meurt. Mais il arrive qu’on ait la possibilité de parler ; alors il n’est pas permis de continuer à se taire »

Les braises – Sándor Márai (1942)

Et si nous abordions un classique de la littérature hongroise ?

Dans ce huit clos envoûtant, deux hommes font face à leur passé.

Deux amis d’enfance, Henri et Conrad se retrouvent quarante et un ans après leur dernière rencontre. Ils ont tout partagé : leur enfance, leurs souvenirs de jeunesse et leurs années d’apprentissage à l’école militaire. Pourtant, des faits obscurs ont conduit à leur séparation définitive. Un rempart infranchissable semble s’être dressé entre les deux amis.

Conrad a quitté brusquement l’école militaire et a pris la fuite pour les tropiques tandis que Henri devenu « le Général » a vécu reclus dans son château à la suite du décès de sa femme, Christine.

Des années plus tard, ils vont partager un diner dans le décor inchangé de leur ancienne vie. Cette confrontation ultime va faire éclater la lumière sur la discorde opposant les deux hommes. Tout au long du roman, la tension est palpable entre les deux personnages et le duel devient rapidement un véritable réquisitoire porté par la verve du Général.

Ce court roman ouvre une réflexion plus vaste sur la définition de l’amitié, les rapports de domination et la soif de vengeance. J’ai découvert pour la première fois la plume magistrale de Sándor Márai qui nous transporte facilement dans un univers où le poids du secret plane jusqu’à la dernière ligne.

Ma note :

Note : 5 sur 5.

Citations :

« Cependant, derrière les jalousies baissées, dans le jardin roussi et flétri, l’été jetait ses dernières lueurs comme un incendiaire qui, dans un accès de rage aveugle, livre tout aux flammes autour de lui, avant de s’éclipser »

« Parfois, j’ai eu l’idée que l’amitié vraie était un lien aussi fort que celui de la communauté des jumeaux. Une similitude frappante des penchants, des sympathies, des goûts, de la culture générale et des passions lie deux êtres à un destin identique »